Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/209

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419 088 francs et les frais généraux s’abaissent à 8,91 p. 100.

Si maintenant, se plaçant au point de vue purement économique, on cherche à analyser les services que les grands magasins ont rendus à l’ensemble de la société, on voit qu’ils ont provoqué une révolution profonde dans les habitudes commerciales. L’ancienne théorie du commerce se résumait en ces termes «Faire peu et gagner beaucoup ». Le grand commerce a renversé cette proposition. Il a pris pour devise « Faire beaucoup et gagner peu ». Dans l’application de l’ancienne théorie, le travail du patron était moins actif, il dissimulait souvent une demi-paresse et c’est à peine si les forces intelligentes et financières étaient utilisées à moitié. Dans la théorie nouvelle, l’effort savamment gradué, de manière à ménager les forces humaines, est porté au maximum 1 . Grâce à la concentration méthodique des services et à une organisation perfectionnée, on arrive à doubler les résultats sans être obligé de doubler les instruments parce que rien n’est livré au hasard et que le mécanisme est toujours en pression. Le petit boutiquier est obligé de disperser son attention sur une foule de sujets d’une inégale importance. Mais si actif et si intelligent qu’on puisse’ le supposer, il est bien évident que son attention ne peut se porter sur tous les points à la fois et qu’il éparpille ses forces sur trop de choses différentes. Ainsi, il ne saurait être à la fois un vendeur habile, un acheteur adroit, un comptable irréprochable et un caissier modèle. Dans les grands magasins, au contraire, grâce à la ■ division du travail, chacun est à sa place, / chacun est encadré, dirigé par une autorité j supérieure. L’employé peut et doit concentrer toutes ses forces intellectuelles sur un seul point et on sait à quel degré d’acuité arrivent les facultés quand elles sont sans cesse tenues en éveil sur un objet déterminé.

! Les grands magasins sont devenus de véri- 
  • tables écoles normales dans lesquelles les

jeunes gens, formés par une forte éducation J commerciale et rompus au maniement des affaires, deviennent à leur tour des chefs de maison expérimentés.

Dans les services d’ordre moral que les grands magasins ont rendus, il faut placer en première ligne l’obligation du payement au comptant.. Ils ont ainsi contribué, pour une large mesure, à la diminution du crédit, c’est-à-dire dans beaucoup de cas, à la diminution de l’usure. Pour les classes popu-I laires le crédit, comme le pratiquent certains MAGASINS (Les grands)

établissements, est un véritable fléau, c’est la contre-épargne organisée. Les grands magasins obligent le consommateur à compter et à n’acheter que ce dont il a strictement besoin. Il faut, en effet, une certaine force de caractère pour se priver d’une fantaisie dont le payement est remis à une époque lointaine et qu’on se figure indéterminée. Beaucoup de magasins exploitent ce travers du cœur humain et contribuent par l’appât de la vente à crédit à achever la ruine de ceux qui n’ont pas l’énergie de résister à de faciles tentations. Tous les hommes qui se sont occupés des questions ouvrières savent que le crédit ainsi entendu est désastreux pour le travailleur. Mais, comme la vente au comptant est / i Lire à ce sujet l’intéressante communication faite par .«1. Ayiiard à la Société d’économie politique de Lyon, Compte rendu de 18S9.

l’essence même ducommerce de détail,comme dans beaucoup de cas fort respectables d’ailleurs, le crédit est un mal nécessaire, on peut être assuré que les petits magasins continueront longtemps à subsister. Il convient aussi d’ajouter que les grands magasins ont contribué à moraliser les transactions de détail par l’usage des prix marqués en caractères apparents sur chaque objet de manière à rendre impossibles les fraudes et les marchandages qui résultaient de la vente dite au procédé.

Si, d’autre part, on cherche à se rendre compte de l’influence que les grands magasins ont exercée sur la production nationale, on voit qu’elle est considérable. Par l’abondance de leurs commandes, la sécurité de leur crédit et surtout par l’écoulement gi gantesque et permanent qu’ils assuraient, ils ont contribué pour une très large part à la création ou au développement d’industries dont les chefs n’auraient jamais renouvelé leur outillage et modifié leurs procédés s’ils n’eussent été assurés pendant longtemps d’une vente considérable. Ils ont aussi régularisé la vente. Ainsi autrefois, à Lyon, le fabricant n’opérait que sur commandes, sa grande préoccupation était de ne pas avoir en magasins d’étoffes non vendues d’avance. Jamais il ne faisait travailler pour le stock. Si les commandes abondaient, alors les métiers de la Croix-Rousse fonctionnaient sans désemparer, si, au contraire, les commandes devenaient rares ou nulles, les métiers se ralentissaient et même s’arrêtaient. Il résultait de cet état de choses qu’à des périodes d’activité fébrile succédaient presque sans interruption des accalmies prolongées. Aujourd’hui, les grands magasins procédant pour leurs achats sur des quantités colossales, le fabricant ne craint plus de travailler pour le stock puisqu’il est à peu près certain que les grands magasins lui commissionnerout ses assortiments. En même temps leur inter-