Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/210

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vention exerce sur le crédit de la fabrique une influence appréciable. Muni d’une lettre de commande émanant d’un des magasins dont le crédit est incontesté, le fabricant trouve facilement toutes les avances nécessaires pour l’exécuter. La commande devient ainsi l’équivalent d’une lettre de change. Le travail s’est régularisé, il est devenu constant ; les usines établies dans la région lyonnaise, assurées d’un écoulement régulier, travaillent en toutes saisons. Cela est si vrai que depuis le développement des grands magasins, c’est-à-dire depuis vingt-cinq ans, les crises qui désolaient périodiquement la fabrique lyonnaise et affamaient en masse la population ouvrière, ont cessé ou du moins ont diminué d’intensité. Il y a là un côté social de la question qui mérite de fixer l’attention. L’action des grands magasins a été surtout sensible pour les industries qui n’avaient pas chez nous de similaires. Souvent, surtout au début, les grands magasins ont dû s’adresser aux fabriques étrangères, faute de trouver chez nos industriels les produits que demandait le consommateur. Une partie importante de la confection pour hommes, le paletot principalement, se faisait en Allemagne et en Autriche ; Berlin et Francfort étaient le centre d’une importante industrie des tricots dont les produits inondaient nos marchés. Désireux de s’affranchir de la domination étrangère, les grands magasins se sont adressés à des industriels français, ils ont vaincu leurs hésitations en leur * assurant un débit qui devait couvrir rapidement leurs frais d’outillage et d’essai. Aujourd’hui, non seulement les divers produits étrangers que nous ne confectionnons pas sont refoulés de nos marchés, mais encore nous exportons à l’étranger des produits similaires.

On est donc fondé à dire que la cause de la grande industrie est liée à celle des grands magasins et qu’on ne peut atteindre l’une sans porter préjudice à l’autre. Gela est si vrai que les principales chambres de commerce, celles de Lyon et de Saint-Étienne notamment, ont protesté contre les mesures draconiennes dont étaient menacés les grands magasins. Le fait est que la campagne menée avec tant d’acharnement contre les grands magasins n’est qu’un épisode de l’éternel antagonisme delà routine contre le progrès. Elle présente les mêmes caractères que la lutte des petits ateliers contre la grande industrie, des diligences contre le chemin de fer. On n’a pas encore perdu le souvenir des récriminations passionnées que l’application de la vapeur aux métiers mécaniques a soulevées dans tous les rangs de la classe ouvrière . Ce fut un déchaînement général qui se traduisit par des voies de fait et des rixes sanglantes entre les ouvriers qui voulaient détruire les nouvelles machines et les patrons qui étaient obligés de les faire garder par la force armée.Partoutles ouvriers se disaient ruinés, réduits à la mendicité, ils déclaraient qu’ « on leur coupait les bras ». Certains hommes, les précurseurs des adversaires du grand commerce, envenimaient la guerre de classes, répétant partout que l’introduction de chaque métier mécanique équivalait à la condamnation à mort par la faim de dix ouvriers, qu’il ne restait plus aux ouvriers qu’à s’expatrier, etc. Que subsiste-t-il de ces déclamations ?

Loin d’avoir supprimé des bras, 

l’application de la vapeur au travail mécanique a, au contraire, décuplé peut-être le nombre des travailleurs. Depuis cette révolution pacifique, la condition matérielle des ouvriers s’est transformée. Les salaires se sont élevés à mesure que la durée de la journée de travail s’abaissait et les ouvriers ont trouvé dans les nouvelles usines des conditions d’hygiène et de confortable inconnues à leurs prédécesseurs. La même révolution salutaire s’est opérée dans la condition des employés de commerce. Tandis que les employés des petits magasins restent soumis aux vicissitudes d’une existence précaire, leurs collègues des grands magasins jouissent soit des bienfaits de l’association ou de la participation, soit des avantages d’une pension de retraite pour leurs vieux jours.

Sur ce point comme sur beaucoup d’autres d’ailleurs, le rapprochement entre le grand magasin et l’usine moderne s’impose. Qu’estce, en effet, que l’organisation des grands magasins, sinon une machinerie, comme disent les Anglais, qui débite en moins de temps, à moins de frais, à un plus grand nombre de personnes, une quantité bien plus considérable de marchandises ? Sans doute cette transformation dans les mœurs bouleverse quelques situations acquises et crée une période transitoire qui peut avoir ses tristesses, mais cette mobilité n’est-elle pas le propre des choses humaines et déjà n’est-il pas démontré que le bien général l’emporte de beaucoup sur les inconvénients particuliers ?


Est-ce à dire qu’il faille se féliciter sans réserve de la transformation commerciale dont la génération présente est témoin ? Il y a évidemment des ombres au tableau que nous venons de tracer, et tout esprit impartial doit reconnaître que la concentration du commerce de détail en grands magasins a ses côtés faibles. Peu nrofitable au point