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Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/21

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La prestation, au contraire, héritière de la corvée, devient une véritable taxe, du moment qu’elle peut être payée en argent. Même la partie des prestations aujourd’hui acquittée en nature cesse d’être considérée comme un travail forcé, puisqu’elle ne représente plus qu’un mode de libération laissé par faveur au choix des contribuables. Jean-Jacques Rousseau écrivait : « Je voudrais qu’on imposât toujours les bras des hommes plutôt que leur bourse ; que les chemins, les ponts, les édifices publics, le service du prince et de l’État se fissent par des corvées et non à prix d’argent. Cette sorte d’impôt est celle dont on peut le moins abuser, car l’argent disparaît en sortant des mains qui le payent ; mais chacun voit à quoi les hommes sont employés ». {Considérations sur te gouvernement de la Pologne). Libre à l’auteur du Contrat social de préférer les corvées aux taxes et de déclarer que le peuple doit effectuer lui-même, avec ses propres sueurs, tous les services publics, plutôt que d’en payer le prix en argent. Sur ce point, d’ailleurs, Jean-Jacques Rousseau s’empresse d’ajouter : « Je sais que cette méthode est impraticable, où régnent le luxe, le commerce et les arts. »

La véritable question, en définitive, dégagée de ces discussions préjudicielles, se pose dans les termes suivants : Vaut- il mieux payer en nature ou en argent certaines taxes, telles que l’impôt foncier, établies sur des revenus fongibles ?

La plus célèbre taxe foncière établie en nature, dans les temps voisins du nôtre, est la dîme, instituée, sous l’ancien régime, au profit du clergé. Le curé, ou l’abbé décimateur, retenait sur les produits ruraux, au moment même où leur possesseur se les appropriait, une part fixée soit au dixième, soit à un chiffre inférieur dans la plupart des cas (le taux de la dîme variant suivant les localités et suivant la nature des produits). Ici, cette part s’élevait au 15 e compte, là au 20 e compte, ou au 25 e compte seulement ; lorsque les gros grains étaient taxés au 25 e compte, on voyait les menus et les vertes dîmes frappées au 21 e compte ; les agneaux au 15 e compte, etc. (Topographie historique delà ville et du diocèse de Troyes, par Gourtalon-Delaistre, curé de Sainté-S aviné, 1783.) Le décimateur recueillait lui-même, ou affermait moyennant une redevance en argent son revenu en nature : mais, en tous cas, ses frais de perception étaient considérables ; ils atteignaient, d’après les rapports soumis à l’assemblée des notables de 1787, 10 p. 100, 15 p. 100, 20 et 25 p. 100, suivant les cultures : « Et cependant, ajoutent ces docu-II.

IMPOT

ments, le curé est sur les lieux et il trouve, dans son propre établissement et dans la complaisance des paroissiens, tous les moyens de rendre la levée économique. » (Finances de l’ancien régime et de la Révolution, t. I, p. 120.)

En ce qui concerne l’impôt foncier perçu au profit de l’État, l’idée d’effectuer son recouvrement en nature remonte au début du xvm e siècle. L’illustre auteur de la Dîme royale expliquait alors, avec son imagination et son style séduisant, qu’il serait facile de construire à bon marché des granges pour Femmagasinement des récoltes dans chaque paroisse, que même, dans le Midi, on se passerait aisément de granges, et qu’une fois ces premières objections matérielles surmontées, la perception en nature procurerait des avantages merveilleux. « L’agriculteur, disait Vauban, abandonnerait sans peine, sans souffrance, presque spontanément, sa part de récolte au bout du champ ; l’intervention des sergents et des huissiers deviendrait inutile ; les percepteurs de la dîme seraient tous bons amis des contribuables. » Ces idées, que l’opinion publique accueillit avec admiration, reçurent un commencement d’exécution en 1723, alors que Féditdtt 5 juin institua l’impôt du cinquantième, levé en nature. Mais, dès le 21 juin de l’année suivante, un nouvel édit rapporta le précédent ; ces dates seules indiquent que l’essai ne fut pas heureux. En dehors de là, aucun document ne précise les difficultés spéciales d’applications auxquelles le fisc se heurta dans cette courte période. (Histoire du dixième et du cinquantième dans la généralité de Guienne } par M. Houques-Fourcade.) De Tan III à Fan V, une nouvelle expérience plus prolongée d’impôt en nature fut faite par la Convention, Dubois-Crancé, général et orateur, après avoir déjà prôné le système à l’Assemblée constituante, le fit triompher à la Convention, et la loi du 2 thermidor an III en prescrivit l’application, pour la moitié du montant de la contribution foncière. Mais . les céréales recueillies par le fisc furent dilapidées, avariées, perdues ; les frais de perception atteignirent un chiffre exagéré. En un mot, suivant l’aveu de Dubois-Crancé lui-même, te produit de l’impôt demeura « presque nul pour la chose publique ». Il fallut donc, en dépit des objurgations des promoteurs de l’innovation, qui prétendaient qu’on devait persister et ne pas s’arrêter devant les obstacles transitoires, abroger la loi de Fan III : « La contribution foncière de l’an V ne sera payée qu’en numéraire métallique. » (Loi du 18 prairial on V.)