Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/224

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respond à une nécessité. Est-ce que celui qui n’exécute pas un marché ne doit pas des dommages-intérêts à son cocon tractant ? Pourquoi donc les parties ne régleraient-elles pas cette indemnité sans avoir recours aux tribunaux ?

La stipulation que le marché sera résilié sous certaines conditions est donc parfois un acte de prudence, et la diminution des risques qui en résulte est un élément favorable à la production, par cela seul qu’il permet certaines opérations que l’on hésiterait à effectuer, malgré leurs avantages, à cause de leurs dangers.

. Les abus et la législation restrictive. Le marché à terme prête aux abus, comme toute opération qui repose sur le crédit. Il se conçoit théoriquement comme un marché normal devant être suivi naturellement de l’exécution du contrat ; mais il advient souvent que de parti pris l’on spécule sur l’écart des prix existant entre le moment de l’achat et de la livraison, et que celui qui a opéré de la sorte n’a jamais eu l’intention de prendre livraison des titres achetés, ni celle de livrer les titres vendus ; il n’en a jamais eu les moyens, il n’a même jamais pu compter les avoir ; il a tout simplement espéré se trouver en bénéfice par suite des événements politiques, économiques ou de la situation monétaire de la place, toutes circonstances qui peuvent avoir une influence sur les cours ; il aura souvent même sciemment opéré au hasard. Il ne s’agit plus ici d’affaires, il ne s’agit plus de placement ; ce spéculateur s’est livré à un véritable jeu, lequel se trouve faussement représenté sur le compte de liquidation par des achats et des ventes, quelquefois plusieurs fois répétées sur les mêmes valeurs et des combinaisons diverses d’opérations fermes et d’opérations à primes. Ces abus, que l’on ne saurait nier, ont exercé une fâcheuse influence sur la manière d’envisager les opérations à terme. L’abusa longtempsempêché d’en considérer l’usage comme légitime, rationnel et nécessaire. C’est en effet comme des opérations de jeu qu’on a longtemps traité les marchés à terme, et la législation les a maintes fois confondus, à telle enseigne que lors même qu’ils étaient considérés comme autorisés — du moins quant aux marchés sérieux — il y avait doute sur leur légalité à raison de l’influence des textes

anciens sur les textes postérieurs. L’arrêt du

conseil du 24 septembre 1724, postérieur de quelques années à l’effondrement du système de Law, ne proscrivait point formellement le marché à terme ; mais il en rendait le fonctionnement impossible en exigeant le dépôt,

MARCHES A TERME

préalable au contrat, de l’argent ou des titres, selon le cas d’achat ou de vente. Un arrêt du 7 août 1785 déclara nuls tous marchés qui se feraient sans livraison ou dépôt préalable des effets. Cette mesure visait surtout à empêcher la vente à découvert. La législation révolutionnaire renchérit sur ces dispositions : la loi du 13 fructidor an III punit de deux années de détention « de l’exposition publique avec écriteau sur la poitrine portant le mot agioteur » et de la confiscation des biens tout homme convaincu d’avoir vendu des marchandises ou effets dont il n’était pas propriétaire au moment de la vente. La loi du 28 vendémiaire an III prohiba formellement le marché a terme en indiquant qu’aucune vente de matières ou espèces métalliques ne pourrait avoir lieu qu’au comptant, et en annulant tous marchés à terme ou à prime contractés antérieurement, attendu qu’ils avaient été déjà interdits par de précédentes lois. L’arrêté du 27 prairial an X rappelait aux agents de change qu’ils devaient avoir reçu les sommes ou les titres nécessaires au marché à contracter. La législation moderne, moins sévère cependant, a été jusqu’en 1883 assez rigoureuse. Le code de commerce de 1807 défendit, dans son article 86, aux agents de change de se rendre garants des marchés pour lesquels ils s’entremettraient ; le Code civil, dans l’article 1965, dénia d’une façon générale toute action en justice pour dette de jeu, sans spécifier, il est vrai, que ]es marchés à terme dussent entrer nécessairement dans cette catégorie, et les articles 421 et 422 du code pénal de 1810 punissaient le pari sur la hausse et la baisse des effets publics des peines portées à l’article 419 du même code, lequel a trait, on le sait, aux manoeuvres frauduleuses des accapareurs. (V. Accaparement.) La jurisprudence qui s’est établie depuis le commencement du siècle a été longtemps très indécise. De 1805 à 1823 elle areconnu la validité des marchés à terme. De 1823 à 1848 elle établit une distinction entre 1 acheteur et le vendeur. A partir de 1849 cette distinction disparaît, etla jurisprudence commence à s’unifier sous l’action de plusieurs arrêts de la cour de cassation, et à admettre seulement la nullité des marchés à terme qui, selon l’intention des parties, ne devaient aboutir qu’à un payement de différences sans livraison de titres. Pour déterminer cette intention, divers arrêts relevaient l’importance des marchés comparés à la fortune des parties.

La loi du 8 avril 1885 est venue déclarer légaux tous les marchés à terme, même ceux qui se résolvent par de simples différences, leur rendre inapplicable l’article 1 965 du code