Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/232

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subsistances et des matières premières que des produits fabriqués ? Est-il profitable de suivre les matières premières dans toutes leurs transformations qui, en fin de compte, aboutissent à des produits chers et d’une consommation limitée ? Que valent les industries de luxe ? A certains égards on pourrait donner comme types à comparer la France, où la transformation des matières premières, grâce au génie inventif des Français, est poussée à son maximum, et l’Angleterre où certaines grandes industries absorbent à peu près toute l’activité nationale. Si on faisait abstraction de l’immense production agricole de la France, qui dépasse 14 milliards bruts dans les années prospères comme 1890, on serait amené à reconnaître, avec Michel Chevalier, que l’excessive variété dans l’industrie, variété qui correspond aux transformations successives des matières premières, ne présente pas autant d’avantages qu’on serait porté à le croire. Elle est trop aléatoire. Cet aléa est compensé en France par les ressources de la production agricole. Tel n’est pas le cas pour l’Allemagne qui s’ingénie, sous l’influence de sa grande population, à faire concurrence à la France dans de moins bonnes conditions.

Nous retrouvons ici, comme dans tant d’autres problèmes économiques, l’influence de la grande loi qui, sans limiter l’application du capital et du travail, contraint l’homme à redoubler d’intelligence et de prévoyance. . Influence des régimes économiques. On saisit facilement, à première vue, combien doit être différente l’extension donnée à la formule matières ’premières sous les divers systèmes économiques. Ces régimes, avec des nuances qui varient selon les temps, les peuples, les besoins, se ramènent à trois : la liberté de commerce, le système prohibitif et la tarification fiscale. Dans le premier, la nécessité de multiplier les échanges est le fondement de la politique économique de l’État, tandis que dans le second domine l’intention de les restreindre ; pour le troisième, la production fiscale, le rendement de la douane, demeurent la considération principale. L’Angleterre peut être acceptée, depuis les réformes de 1846, comme le type du premierrégime, laRussie etles États-Unis comme les types du second et l’Italie comme le type du troisième.

Si l’on reprend la définition ci-dessus donnée à la formule matières premières, avec les diverses considérations dont cette définition a é té accompagnée, on se rend immédiatement compte que les matières premières ne peuvent être envisagées et traitées de la même manière par des États soumis à des régimes si opposés.

Dans les États où prévaut la liberté commerciale, ce sera une maxime, en quelque sorte fondamentale de l’État, de laisser l’entrée libre à toutes les matières premières, surtout à celles qui n’auront reçu qu’une première préparation, afin de procurer aux diverses industries non seulement les éléments de leur travail, salaires et profits, mais les subsistances, le tout sans taxes douanières, dans le double but de fournir : 1° aux consommateurs de la nation tous les objets nécessaires ; 2° au commerce des moyens d’échange, le tout au meilleur marché possible. Il y a eu, toutefois, une époque où les mêmes États qui ouvraient leurs portes avec libéralité à l’entrée les fermaient à la sortie, précisément pour recevoir, pour conserver les matières premières. C’est en partie l’origine des droits de douane à la sortie. Des États ont également pratiqué la politique fiscale de faire finance sur les matières premières au moyen de droits de douane. Stuart Mill a développé cette théorie qui est, au fond, contradictoire avec la pratique de la liberté sous le régime de la liberté du commerce et avec l’incidence des droits sous les autres. Aussi les États qui ont l’avantage de vivre sous le régime de la liberté commerciale ont-ils renoncé à toute taxe fiscale sur les matières premières quelles qu’elles soient, à l’entrée et à la sortie, En 188o, six articles, le thé, le tabac, l’alcool, le café, le vin, les raisins secs, ont produit à la douane anglaise 512 millions de francs ; quelques articles accessoires sont compris dans cette sommepour 200 000 livres sterling. Dans les États où régne l’esprit prohibitif, on interdit l’entrée des matières premières ou on les frappe de droits de douane d’autant plus élevés qu’elles représentent une ou plusieurs transformations. Ainsi, le coton brut sera moins taxé que le fil de coton d’un gros numéro, ce dernier que celui d’un numéro plus fin ; quant aux tissus, ils subissent des droits proportionnels à la valeur des fils employés, à la teinture même, à leur ornementation. Parfois des droits de sortie prohibent ou entravent la sortie des matières premières en vue, soit de procurer dès ressources à l’État, — c’est le cas pour la soie en Italie, — soit de maintenir le bon marché des matières premières dans l’État qui les produit.

Il faut reconnaître que, malgré le courant nouveau protectionniste qui règne en Europe et dans la plupart des autres États depuis la guerre de 1870, le second système, qui a régné pendant la fin du xvn e siècle, tout le xvni e siècle et une partie du xix e , a