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Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/24

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crirait alors nominativement sur les rôles les riches auxquels il s’agirait d’imposer Pégalité des sacrifices dont il est parlé plus loin. Ne pouvant faire le triage de ceux qu’on voudrait ménager, on ferait le triage de ceux qu’on voudrait opprimer. La capitation deviendrait ainsi un instrument d’oppression qui permettrait, comme en 1793 et 1795, de désigner par leur nom les victimes du fisc J . L’impôt progressif, nous le verrons bientôt, devient un auxiliaire puissant pour la réalisation de ce nivellement idéal. La capitation, envisagée à un autre point de vue, représente, aux yeux de quelques théoriciens politiques, le minimum de l’imposition exigible de tout citoyen actif. Le premier projet de constitution élaboré en 789 par TAs semblée constituante s’exprimait ainsi : « Toute contribution sera supportée également par tous les citoyens sans distinction. » Cette formule érigeait, on le voit, la capitation en principe. Elle fut combattue par Mirabeau en ces termes : « Les contributions publiques ne peuvent être supportées également par tous les citoyens, car tous les citoyens n’ont pas les mêmes moyens, les mêmes facultés ni, par conséquent, l’obligation de contribuer également au maintien de la chose publique. Tout ce qu’on peut exiger, c’est qu’ils y contribuent en proportion de ce qu’ils peuvent. » (7 octobre 1789.)

L’Assemblée nationale vota, en conformité de cet avis, un article ainsi conçu : « Toutes les contributions et charges publiques, de quelque nature qu’elles soient, seront supportées proportionnellement par tous les citoyens et par tous les propriétaires, à raison de leurs biens et facultés. » C’était la proclamation de l’égalité proportionnelle de l’impôt.

Cependant, en 1793, Robespierre fit insérer dans la Constitution nouvelle une idée contraire, dont il développa de la sorte les motifs : « Si vous décrétez, surtout constitutionnellement, que la misère excepte de l’honorable obligation de contribuer aux besoins de la patrie, vous décrétez l’avilissement de la partie la plus pure de la nation ; vous décrétez l’aristocratie de la richesse... . Les théoriciens de cette école révolutionnaire donnent souvent à leur conception le nom $ impôt personnel, par opposition à l’impôt réel. Nous expliquons plus bas, dans une note du § 5, que ces deux expressions n’ont pas grande valeur aujourd’hui au point de vue de la doctrine et que la capitation constitue à peu près le seul impôt vraiment personnel. Cependant, en dehors de la doctrine, on peut comprendre un impôt personnel avec une base reposant sur des réalités, surtout quand cette base a été précisément préparée en vue de masquer le caractère intentionnellement personnel de la taxe, . . ~

et bientôt il s’établirait une classe de prolétaires, une classe d’ilotes, et l’égalité et la liberté périraient pour jamais. N’ôtez pas aux citoyens ce qui est le plus nécessaire, la satisfaction de présenter à la république le denier de la veuve. Bien loin d’écrire dans la Constitution une distinction odieuse, il faut, au contraire, y consacrer l’honorable obligation pour tous les citoyens de payer les contributions. » (Convention, séance du 17 juin 1793.)

Robespierre ne disait pas comment il comptait procurer à chacun des citoyens de la république, même aux plus pauvres, l’argent nécessaire pour acquitter l’honorable capitation qu’il leur imposait. Néanmoins, conformément à son avis, l’article 101 de l’acte constitutionnel du 24 juin 1793 fut ainsi rédigé : « Nul citoyen n’est dispensé de l’honorable obligation de contribuer aux charges publiques. »

La Constitution de l’an III jugea déjà cette formule trop absolue et lui substitua la suivante : « Article 304. Tout citoyen qui n’a pas été compris au rôle des contributions directes a le droit de se présenter à l’administration municipale de sa commune et de s’y inscrire pour une contribution personnelle égale à la valeur locale M trois journées de travail ». (Constitution du 5 fructidor an III. J L’honorable obligation se trouvait dès lors remplacée par une faculté, tout aussi honorable sans doute, mais dont peu de citoyens, certainement, s’empressèrent de profiter.

Les Constitutions postérieures eurent la sagesse de cesser d’ériger ainsi la capitation en dogme et de lui assigner une place parmi les nouveaux droits de l’homme. Au contraire, la formule suivante a prédominé définitivement : « Les Français contribuent indistinctement, dans la proportion de leur fortune, aux charges de l’État. » (Charte constitutionnelle du 14 juin 1814, art. 2’Y Charte constitutionnelle du 9 août 1830, art. 2.)

C’est le retour pur et simple au principe de proportionnalité déjà proclamé en 1789, au début de la Révolution, comme nous l’avons vu.

Le principe de la proportionnalité, sorti victorieux de la lutte contre la capitation dans la rédaction successive de nos Constitutions, rencontre actuellement un adversaire beaucoup plus redoutable dans le système de la progression, dont nous allonsaborder l’étude.