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Minghetti fut président du conseil des ministres en 1863, et il conclut la convention pour le transfert de la capitale à Florence. Des troubles à Turin, qu’il n’avait pas su prévoir, déterminèrent à cette époque la chute de son cabinet, et le souvenir de ces événements le tint pendant assez longtemps éloigné du pouvoir. Il y revint d’abord comme ministre de l’agriculture et du commerce (1869), puis de nouveau comme président du conseil (1873). La droite s’était usée au pouvoir, et rendue antipathique au pays par ses rigueurs fiscales ; Minghetti voulut rajeunir son parti en le poussant dans la voie du socialisme d’État, mais son ministère fut renversé le 18 mars 1876 sur la question du rachat des chemins de fer, dont il voulait donner l’exploitation à l’État. Il demeura ensuite, jusqu’àsa mort (10 décembre 1886), le leader de la droite, faisant de l’opposition jusqu’en 1885, où, sous le ministère Depretis, il devint avec son parti franchement ministériel.

En économie politique, on peut regarder Minghetti comme un des précurseurs des socialistes de la chaire. Dès 1841, dans un opuscule Sur la tendance de ce siècle vers les intérêts matériels, il écrivait que les classes pauvres n’avaient reçu aucun avantage de l’augmentation des richesses en Europe, « car les économistes du siècle passé, prenant cet objet (la production de la richesse) comme but final des efforts de la société, ont négligé toutes les mesures qui pouvaient garantir et améliorer le sort du peuple. Et c’est ainsi que les machines et les progrès des arts mécaniques, qui devaient, en déchargeant les ouvriers des travaux les plus grossiers et les plus malsains, leur permettre d’exercer leurs facultés intellectuelles, sont devenus, au contraire, dans les mains du petit nombre, les instruments de l’oppression du peuple. » Et dans son livre sur les Rapports de l’économie politique, etc., il répète, en l’indiquant comme le principe qui inspire toute son œuvre, «que pour permettre aux lois économiques de produire leurs effets, la justice sociale et la moralité intérieure sont des conditions indispensables ».

Il y a des gens qui ne savent pas s’élever jusqu’à la conception des lois naturelles de l’économie politique, ni reconnaître qu’elles sont tout aussi sûres dans leurs effets que les autres lois scientifiques que l’observation nous révèle, et qui ne sont, au reste, que la constatation des rapports nécessaires qu’ont les choses entre elles. Ce n’était certes ni l’intelligence, ni le savoir qui faisait défaut à Minghetti pour acquérir ces idées, mais il était porté en toute chose vers l’éclectisme, et il avait la même aversion pour la rigueur des lois naturelles, dura lex, sed lex, qu’il en éprouvait en politique vers les principes absolus des partis extrêmes. Comme ce courtisan qui répondait à Louis XIV : « Il est l’heure qu’il plaira à Votre Majesté » ; il subissait, sans peut-être sans rendre compte, la pensée que les lois de l’économie politique étaient celles qui pouvaient plaire aux majorités parlementaires.

C’est ainsi qu’ayant toujours défendu le principe de la restriction des attributions de l’État, et de l’abandon de toutes les industries à l’initiative individuelle, il changea tout à coup d’avis vers 1876, croyant que, sous l’influence des doctrines allemandes, le socialisme d’État allait décidément avoir le dessus, et voulant précéder dans cette voie l’opinion publique, avant que son rival Sella pût s’en faire une arme pour le renverser. Le discours qu’il prononça avant la crise du 18 mars 1876, est un de ses plus éloquents, et, si la splendeur de la forme pouvait faire oublier le fond, on pourrait dire un des plus convaincants. Minghetti tomba donc du pouvoir pour avoir voulu enlever à l’industrie privée l’exploitation des chemins de fer et la donner à l’État ; mais bien peu d’années s’étaient écoulées qu’un nouveau changement s’opérait en lui, et l’on était surpris d’entendre de sa bouche un discours à la Chambre, pour approuver les conventions qui redonnaient, avec des conditions très onéreuses pour le pays, l’exploitation des chemins de fer à l’industrie privée.

C’est qu’alors il jugeait que le ministère Depretis était nécessaire aux intérêts de la monarchie et à ceux du pays, et il sacrifiait toute autre conviction à cette idée, qui, par un phénomène psychologique assez commun, ne provenait probablement que du fait que le ministère Depretis, s’appuyant en partie sur la droite, lui rendait ainsi un peu de son ancienne influence. L’aberration qui conduisit un homme d’un savoir incontestable, et d’une nature morale aussi élevée et aussi noblement désintéressée que celle de Minghetti, à prêter son appui au régime peut-être le plus immoral et économiquement le pire qu’ait jamais eu l’Italie moderne, est vraiment digne d’attention, et peut servir d’enseignement sur les dangers auxquels on s’expose quand on abandonne le terrain ferme des principes de la science. Plus d’une fois, en voyant le ministère Depretis exciter toutes les convoitises, dans le seul but de s’en faire une arme pour se maintenir au pouvoir, en voyant se développer une spéculation effrénée, encouragée parle gouvernement, l’économiste Minghetti a dû se rappeler Law et son système, et plus