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pas aussi bien ou mieux les produits ou les services objet des monopoles, ou encore, si une autre combinaison administrative ne permettrait pas d’atteindre le même but. C’est en les soumettant à cette sorte d’épreuve que l’on sera amené à dire, par exemple, que le monopole de la fabrication des monnaies ne présente que des avantages ; que celui du transport des lettres et dépêches donne, en somme, des résultats fort satisfaisants ; que le monopole de la fabrication et de la vente du tabac n’est point du tout, l’exemple de la législation fiscale anglaise et allemande le démontre bien, le seul moyen permettant de tirer du tabac, matière essentiellement imposable, la somme de trois cents millions de francs environ qu’il rapporte annuellement au trésor français.

va sans dire que la détermination des 

effets des monopoles de l’État est intimement liée à celle des effets de l’action de l’État (voy. ce mot) dans l’ordre économique, en général. . Évolution du monopole-

Quel a été dans le passé de notre civilisation européenne ou dans des civilisations différentes jugées inférieures à la nôtre le rôle du monopole ? Quel sera-t-il dans l’avenir ?

Telles sont les deux questions dont 

l’étude répondrait au titre de ce dernier paragraphe .

Nous devons nous borner ici à les poser et à indiquer d’un mot la solution qu’elles nous semblent comporter.

Pour le passé *, les monopoles ont été généralement beaucoup plus nombreux et beaucoup plus oppressifs qu’ils ne le sont aujourd’hui. L’honneur de les avoir, pour la première fois, soumis aune lumineuse et impitoyable critique revient aux grands économistes libéraux du xvm e siècle, aux physiocrates et, particulièrement, à Turgot. Les nombreux passages des œuvres de Turgot, dans lesquels sont éloquemment dénoncés l’injustice et les abus des monopoles, sont assez connus pour que nous puissions nous dispenser de les citer ici. Nous nous bornerons à renvoyer le lecteur à la lettre sur le renouvellement du privilège de M. La Forêt. La Constituante s’inspira de leurs doctrines, en abolissant presque tous ceux qui existaient en 1789.

On peut dire que, depuis un siècle environ, en dépit des réactions qui se sont produites contre l’œuvre de la Révolution française {. On trouvera tous ïes éléments du chapitre d’histoire économique qui pourrait être écrit sous le titre : évolution du monopole, dans lea pages consacrées à un certain nombre d’autres articles de ce Dictionnaire, tels que Concurrence, CORPOBATIONS, LlHBRTÉ ÉCONOMIQDR. OFFICES (VÉHALITÉ i>BS).

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et contre les doctrines libérales du xvni* siècle, le nombre des monopoles est loin de s’être accru, autant que certains le prétendent. La plupart des monopoles institués depuis le commencement du siècle l’ont été par l’État ou par les communes, dans un intérêt public souvent contestable, mais parfois aussi très réel. Si l’on veut considérer sans parti pris, dans son ensemble, la vie économique de nos grandes sociétés, on doit reconnaître que la place qu’y tient la concurrence est et tend sans cesse à devenir incomparablement plus grande que celle qu’y tient le monopole. Les monopoles établis par l’autorité sont de plus en plus tenus de se justifier par une évidente nécessité ; quant aux monopoles de fait, ils sont, quoi qu’en dise, de plus en plus difficiles à établir 1 .

Est-il bon que ce mouvement se poursuive ?

Peut-on penser qu’il se poursuivra ? 

Nous n’hésitons pas à l’affirmer. Que l’action de l’État doive ou non aller en s’étendant de plus en plus, soit parallèlement à l’action des individus, soit au détriment de celle-ci, nous estimons que les monopoles, loin de s’étendre, doivent disparaître graduellement. Il faut déplorer et combattre l’erreur singulière de ceux qui viennent, aujourd’hui, nous proposer la création de monopoles nouveaux. Le monopole, en lui-même, et sauf de très rares exceptions, est une forme inférieure de l’action de l’État comme de celle des individus. Que l’on se préoccupe de supprimer les abus de la concurrence ; rien de mieux. Mais que l’on se garde bien de supprimer la concurrence elle-même. Ce serait renoncer à l’un des plus grands stimulants du progrès humain. Nous trouvons cette idée supérieurement exprimée dans un passage de Stuart Mill qui mérite d’être cité et par lequel nous terminerons cette étude : «Si je suis d’accord, dit-il Prin- [1]

  1. Suivant M. H. Foxwell» professeur à University Col’ lege, à Londres, la concurrence serait un état nécessairement transitoire dans l’évolution des sociétés humaines. « C’est par le mouopole qu’on commence, dit-il, c’est par lui aussi qu’on finit. » (V. lîeoue d’économie politique , t. IIÏ, 1889, un article intitulé : « Du. développement des monopoles » p. 457-472.) Cette opinion est reproduite par M. Cii. Gide {loc. cit. 3» édit., p. 77), dans les termes suivants : « Aussi est-il très visible que l’organisation industrielle de notre temps s’achemine non vers la concurrence, mais vers le monopole — monopole de fait exercé par de puissantes compagnies isolées ou syndiquées » . On chercherait vainement, dans l’article de M. Foxwell auquel renvoie M. Ch. Gide, l’ombre d’une preuve à l’appui de cette grave affirmation. En revanche on y trouve parfois d’amusants paradoxes. On y lit, par exemple : « Plus la concurrence sera parfaite et plus fort sera le monopole qui en résultera » (p. 459), et un peu plus loin : (p. 469) « Basliat et Herbert Spencer sont les vrais apôtres du socialisme». Mais, en vérité, cela ne constitue pas une démonstration.