Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/331

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( 1868, Paris, Guillaumin) . L’autre, à une date récente (1889), M. Funck-Brentano, a rendu de son côté service à la littérature économique en donnant une belle édition de l’ouvrage un peu oublié d’un écrivain qui, dans une langue claire et souvent forte, dont les mérites seraient encore plus appréciables si elle était exempte de l’emphase oratoire, a su parler un des premiers des grands intérêts économiques. Mais le savant éditeur ne s’en est pas tenu à cette part d’éloges, que peut-être M.Jules Duval avait déjà exagérée quelque peu ; il a prétendu, dans l’introduction placée en tête de l’ouvrage, faire de Montchrétien le premier économiste en date et même en valeur. C’est un jugement qui ne saurait s’accréditer auprès des juges impartiaux. Montchrétien ne peut être considéré à aucun degré comme un fondateur de l’économie politique, par cette double raison qu’il n’a pas donné la forme scientifique même aux vérités qu’il rencontre et qu’il expose presque toujours sans ordre, et que, à ces vérités, il mêle des théories fausses. Pour classer Montchrétien parmi les économistes, il faut donner aux mots économie politique non pas la signification d’une science, mais tantôt d’un art, tantôt de la simple pratique.

Quelque graves que soient ces réserves, nous pensons que l’histoire de l’économie politique doit recueillir le nom de Montchrétien. Il a compris et glorifié la fécondité et la dignité du travail ; il a montré l’importance de la richesse sociale et recherché, avec une sorte d’intérêt passionné, quels moyens pouvaient la développer. Sans chercher à mettre dans cet exposé un ordre trop rigoureux, nous indiquerons ce qui offre dans le Traité une valeur générale ou un intérêt national. En effet, malgré la part faite à des principes économiques élémentaires, applicables à tous les peuples, c’est bien une économie polique nationale que Montchrétien a prétendu écrire : c’est du Colbert avant Golbert, pourrions-nous dire, cette formule étant celle peut-être qui donne du livre l’idée la plus exacte.

Les titres mêmes des trois livres dont se compose son ouvrage en portent un témoignage évident : les manufactures, le commerce, la navigation. Ne sont-ce pas les trois branches auxquelles Colbert devait particulièrement s’attacher ? Il suffira d’indiquer les sous-titres que l’auteur a mis lui-même à chacun de ces livres pour se convaincre que c’est un ouvrage traitant de réformes économiques, et non pas du tout un traité d’économie politique régulier, présentant l’examen et l’enchaînement de tout un ordre de faits observés et classés selon les méthodes de la science, de manière à dégager les principes’ de la production, de la distribution, de la consommation des richess-es. S’il en est question, c’est par fragments détachés, et dans les pages du commencement surtout. L© sommaire des matières principales est ainsi présenté par Montchrétien. 1° Pour les manufactures ; des arts mécaniques, leur ordïe et utilité : le règlement des manufactures, l’emploi des hommes, des métiers plus profitables et nécessaires aux communautés, l’entretien des bons esprits, et le soin que le prince en doit prendre, (N’est-ce pas là aussi une partie du plan que Colbert devait réaliser en protégeant et pensionnant les savants les artistes et les gens de lettre ?) 2° Pour le commerce : celui qui se fait tant au dedans qu’au dehors du royaume ; la trop grande liberté et immunité des Espagnols, Portugais, Anglais et Hollandais parmi nous ; le transport et règlement de la monnaie ; l’inégalité du traitement que les étrangers reçoivent en France à celui que les Français reçoivent en leurs pays (suivent diverses questions spéciales ) ; 3° pour la navigation ; son utilité, le besoin que la France a de se fortifier ; les colonies, enfin le commerce avec l’Orient. A ces trois livres, Montchrétien en ajoute un quatrième, surtout d’ordre politique, sur l’exemple et les soins principaux du prince touchant la piété, la charité, la censure, la milice, les finances, les récompenses, tant honoraires que pécuniaires, les charges et magistratures. Ces titres seuls indiquent que le nouvel éditeur ne s’est pas trompé en appelant cette économie politique une économie politique patronale, c’est-à-dire toute de protectionnisme au dedans et au dehors, pour les personnes comme pour les biens. Mais une économie politique patronale est-elle Y économie politique" !

On trouve, avons-nous dit, au milieu de développements qui n’ont rien de scientifique, certaines idées générales conformes à la vérité économique, et qui sont mêlées à des conseils. L’auteur parle dignement de l’agriculture, dont il montre l’importance, et déplore l’abandon qu’en font les propriétaires nobles à des valets qui « les épuisent de valeur et de graisse ». Il ne fait que reproduire ce qu’avait dit avant lui Sully, dans les lignes suivantes : « C’est en ce sujet principalement que naît, croît et règne le luxe, avorton de la fausse gloire, auquel jamais rien ne coûte trop, et duquel procèdent ces dépenses excessives qui causent ordinairement la ruine des meilleures maisons et la pauvreté des plus illustres familles. A cause de lui ces mots de reproche : un tel porte un bois, un moulin^ une prée sur