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Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/346

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nous est de savoir s’il y a accord ou désaccord de l’économie politique avec ces vérités morales qui rencontrent peu d’incrédules, à quelque source philosophique qu’on les rapporte, ou même quand on ne prend aucun souci de ce genre, mais dont la généralité des hommes fait la règle de ses jugements et de ses actes. Même ainsi limitée, la question reste très vaste, et elle est digne de tout intérêt On est allé jusqu’à contester la moralité de l’économie politique elle-même, à nier qu’elle appartint à Tordre des sciences morales pour la rapprocher exclusivement des sciences physiques et mathématiques, au risque d’en méconnaître l’essence. Si l’économie politique en effet offre des affinités avec la nature, si elle présente certains rapports abstraits soumis aux lois du calcul, elle part de l’homme et elle aboutit à l’homme. Les faits économiques et les grandes lois qui les régissent ont des relations pour ainsi dire constantes avec l’honnête et le juste. Le bien et le mal moral modifient l’effort et, quant aux lois, il y a lieu de se demander si elles choquent la justice ou si elles y sont conformes. C’est là un champ de recherches qui prête à une quantité d’observations d’une grande portée. On reconnaîtra d’abord que s’il fallait donner gain de cause aux accusations portées de différents côtés, l’économie politique serait discréditée à l’avance. C’est ce qu’ont essayé de faire notamment certaines écoles socialistes, pour lesquelles tous les grands faits, tous les grands principes de l’économie politique n’ont rien qui ne soit en contradiction avec l’idéal de la justice et du bien, rien qui ne soit la constatation et la formule de l’oppression et de l’iniquité sous différentes formes. Si ce sont là autant d’assertions fausses, il s’agit d’établir et de voir si le contraire ne se justifie pas par l’examen. M d’abord que penser de l’accusation plus générale qui taxe d’immoralité l’objet même de la recherche économique ? S’occuper de la richesse, a-t-on dit, c’est du matérialisme ; il faut plutôt détourner les esprits du souci de la richesse que les y ramener. La richesse engendre la corruption, le sybaritisme, etc. Ceux qui opposent cette fin de non-recevoir montrent seulement qu’ils ignorent de quoi il s’agit. La richesse se compose de tous les biens sur lesquels vit l’humanité. On peut en faire un mauvais usage, il est vrai, mais on peut en faire aussi un emploi excellent et, en tous cas, on ne saurait s’en passer. C’est une fausse application du spiritualisme que celle qui condamne la recherche d’un honnête bien-être pour les individus et ce qui constitue les éléments de la prospérité des nations. Si l’on peut citer des philosophes MORALE

stoïciens ou mystiques, des écrivains ascétiques, qui ont donné dans cet excès, des philosophes du spiritualisme le plus déterminé ont parlé autrement et il est facile de citer des auteurs religieux, tels que Bossuet, Fénelon, Fleury et tant d’autres, qui parlent avec honneur de la richesse comprise comme nous venons de le dire et qui n’hésitent pas à en recommander l’acquisition. Jamais l’économie politique ne s’est donné pour but, si on la considère dans ses applications, de recommander le culte du veau d’or et l’amour des jouissances sensuelles. Il n’est jamais entré non plus dans ses prétentions de soutenir que la richesse, même entendue au sens le plus légitime, existât seule, et qu’il n’y eût pas telle chose que Ton nomme le vrai, le bien et le beau, où l’on se propose un autre objet que de s’enrichir. Aussi bien ne nous attarderons-nous pas davantage à montrer que la richesse agricole, industrielle et commerciale peut servir de but à d’honorables efforts. Quant à la science qui recherche si ce monde de l’utile n’a pas aussi ses lois, et qui s’efforce de les déterminer, elle accomplit une tâche élevée en s’appliquant à révéler Tordre sous une de ses faces les plus importantes dans les sociétés humaines. Elle fait œuvre enfin d’humanité pour ses résultats en se proposant d’indiquer les meilleures voies pour éviter de faire de dangereuses écoles et pour réaliser des progrès profitables à tous .

On a de même essayé de discréditer l’économie politique en jetant un blâme sur le mobile qui pousse l’homme à l’acquisition des biens, à savoir l’intérêt. Mais d’abord on peut être économiste et admettre que l’intérêt n’est pas le seul mobile des actions humaines, et qu’il y a des actes désintéressés, des actes de dévouement d’une nature supérieure et même sublime. La fraternité a sa place dans les sentiments de l’homme, la charité a son rôle, mais il serait faux et dangereux de leur sacrifier la liberté et la justice. L’intérêt est un mobile fécond, un mobile légitime, s’il est réglé. L’individu ne peut pas ne pas rechercher ce qui satisfait aux conditions de sa vie, il ne peut pas se séparer de soi, s’en détacher absolument, il ne peut pas ne pas s’aimer ; ce qu’il faut, c’est qu’il ne s’aïme pas exclusivement et qu’il ne se sacrifie pas les autres. On a reproché, il est vrai, à l’école dite utilitaire, à laquelle appartiennent un certain nombre d’économistes éminents, de prêcher Tégoïsme. Ce mot prêcher est inexact, qu’on l’applique à Bentham, à John Stuart Mill ou à Herbert Spencer. Leur objectif est Y utilité générale^ et non Végoïsme individuel Ce qui est vrai pourtant, c’est que