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. Exemple d’un paya où la propriété est très divisée : la France.

Nous avons vu qu’il faut, dans une grande partie de l’Europe continentale, remonter jusqu’aux temps féodaux pour trouver l’origine de la petite propriété ; et c’est ainsi qu’en plus d’un endroit, les siècles ayant passé sans défaire ce qui avait alors été fait, le cadastre français de 1807 n’a eu, pour ainsi dire, qu’à calquer les vieux livres terriers du moyen âge. Ailleurs, les deux courants contraires dont nous avons parlé se sont tour à tour fait sentir et le morcellement a eu des alternatives de progrès ou de recul. Ce qui est certain, c’est que ceux qui le font dater de la Révolution connaissent mal l’ancienne France. Guy Coquille, au xvi e siècle, Boisguillebert, sous Louis XIV, signalent déjà, dans certaines provinces, la rapide multiplication des petits propriétaires. En 1738, l’abbé de Saint- Pierre, renseigné par les intendants, constate que « les journaliers ont presque tous un jardin ou quelque morceau de vigne ou de terre »,Les Sociétés d’agriculture, peuplées de châtelains, gémissent, à peine instituées (1761) sur les abus du morcellement et Quesnay s’en inquiète comme elles. ïurgot, Necker, parlent de « l’immensité » des petites propriétés rurales. Le témoignage d’Arthur Young est plus probant encore : « Les petites propriétés des paysans se trouvent partout à un point que nous nous refuserions à croire en Angleterre et cela dans toutes les provinces. Dans le Quercy, le Languedoc, les Pyrénées, le Béarn, la Gascogne, une partie de la Guyenne, l’Alsace, les Flandres et la Lorraine, ce sont les petites propriétés qui l’emportent. » Et plus loin : « II y a dans toutes les provinces de France des petites terres exploitées par leurs propriétaires, ce que nous ne connaissons pas chez nous. Le nombre en est si grand que j’incline à croire qu’elle forment le tiers du royaume. » L’évaluation était exagérée et M. Dujonc a pu, à juste titre, la réduire de moitié. L’erreur de l’auteur des Voyages en France vient, sans doute, de ce que instinctivement il préférait les pays de petite propriété, dont « l’aspect, l’aisance et le bien-être le ravissaient » malgré lui, à ces latifundia, à ces immenses terres seigneuriales « qu’il était sûr de trouver en friche ». Le prince de Soubise et le duc de Bouillon paraissent avoir été les plus riches propriépriétaires de l’époque « et, dit Young, les seules marques que j’aie encore vues de leur grounds dont jouissent les ouvriers agricoles dans certains districts, le Times (8 sept. 1890) croit pouvoir porter à 1 300 000 le nombre des gens qui, dans la Grande-Bretagne, ont présentement à leur disposition des surfaces cultivables inférieures à 20 hectares.

grandeur sont des jachères, des landes, des déserts ».

Grands et petits, les propriétaires français, quoiqu’en aient pensé Brissot, Target et Lavoisier lui-même, quoiqu’en ail encore dit de nos jours Paul Boiteau 4 , se comptaient certainement par millions dès 1789. Nous disions, dans un ouvrage déjà ancien, 4 millions environ. Un travail, lu par M. Gimel à l’Institut international de statistique en 1889 et basé sur l’étude des anciens rôles des vingtièmes, aboutit au même chiffre (4 millions) pour les seuls propriétaires taxés. Avec les privilégiés, ce chiffre devient un minimum.

La Révolution fît trois choses qui, toutes trois, ne pouvaient que profiter à la division de la propriété : abolition des privilèges, vente aux enchères, par lots, des biens nationalisés, et sinon inauguration, du moins, généralisation d’un régime successoral à tendances égalitaires.

L’abolition des privilèges territoriaux favorisait déjà la diffusion de la richesse immobilière : « La Révolution, a dit de Tocqueville, n’a pas créé la petite propriété ; elle l’a libérée. » Plus de seigneuries, plus de vassalités ; plus de terres nobles et de terres roturières ; le même état civil et fiscal pour toutes. Cette libération augmentait la valeur des biens qu’elle affranchissait et rendait moins chers aux privilégiés de la veille les domaines désormais déchus de l’espèce de souveraineté locale dont ils avaient joui si longtemps : c’en était assez pour mettre la petite propriété en état de se mesurer avec la grande. Les confiscations révolutionnaires allaient faire le reste. Les biens ecclésiastiques, à eux seuls, valaient quelque chose comme trois milliards, dont un milliard en maisons dans les villes, un milliard en bois, un milliard en terres. Il n’y eut guère que ce dernier tiers de vendu ; mais c’étaient déjà des millions d’hectares. On y ajouta les biens des émigrés, ceux des déportés, ceux des condamnés révolutionnairement. C’était presque la noblesse entière qu’on expropriait, la grande noblesse sortait. On ne put tout vendre malgré l’avilissement des prix, et plus de la moitié des immeubles confisqués ont été restitués en nature sous l’Empire et sous la Restauration. Cependant le fameux milliard des émigrés ne donne pas la mesure complète des biens aliénés : on peut les évaluerà 1300 millions.

Beaucoup de ces biens furent vendus en gros plutôt qu’en détail ; mais les grosses fortunes territoriales ne s’en trouvaient pas i . État de la France en il ’89.