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PEAGE

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PEAGE

. Valeur économique et avenir du péage. Dans une société incomplètement organisée, le système du péage ne présente d’autres inconvénients que l’abus des concessions et les exactions auxquels il peut donner lieu. Hais, dès que les institutions se perfectionnent, il soulève des difficultés d’une autre nature et non moins graves, qui en rendent le maintien malaisé, sinon impossible. Au moyen âge, ce ne sont encore que les abus originels.

« Les péagers, qui sont volontiers quelques soldats dévalises ou quelques praticiens affamés ou autres mauvais garnements, dit Loysel dans ses Institutes coutumières, sont si malicieux qu’ils tendent leurs billettes i ou assignent le lieu du péage ou acquit le plus loin qu’ils peuvent du chemin et ès-endroits les plus effondrés et de difficile accès, afin que les marchands ennuyés de se détourner, se hasardent de passer sans payer, et que partant, ils aient ou une grosse amende ou leurs marchandises confisquées. » Si l’on en croit les Cahiers de doléances du Tiers aux états de Blois, « les péagers soutenaient aux conducteurs qu’il y avait en leurs voitures plus grande quantité de marchandises qu’il n’y en avait réellement ; sur cette ■dispute, le marchand ou conducteur était arrêté, et ils le voulaient contraindre de décharger ou payer à leur gré, et les pauvres marchands, pour éviter ledit déchargement et intérêt du séjour, étaient contraints de payer aux dits péagers, le double ou le triple ■de ce qu’ils devaient ». ,

D’autre part, le péage constituait un moyen trop facile de se procurer des ressources et un instrument de règne trop précieux, pour que Ton n’eût point la tentation d’y recourir A toute occasion. La royauté s’attribuait les droits les plus fructueux. Puis à un courtisan, à une communauté ou bien à une ville, elle faisait la largesse d’un péage à titre de de bénéfice, de privilège ou d’octroi, justifiant ainsi cette conclusion d’un ouvrage de Linguet sur les Canaux navigables , publié ■en 1769 : « Il vaut mieux ne point ouvrir de routes que de les voir infectées par les harpons meurtriers des péagers. Il est moins ■dangereux de laisser le commerce ramper sur la terre que de le réduire à l’entrée •d’un canal à reculer d’épouvante à l’aspect , Le péage portait alors des noms différents, suivant les conditions dans lesquelles il était perçu. On l’appelait communément barrage^ pontenage, billstte ou brauchière, selon qu’il était établi à l’entrée de bourgs fermés ou de villes, au passage d’un pont, ou en pleine campagne. Dans ce dernier cas, l’écriteau indiquant le tarif des droits était généralement ■fixé soit au tronc, soit à une branche d 1 ua arbre voisin ; d’où 4es termes particuliers de billette et branchière. de ces retraites perfides où s’embusquent ces ennemis dévorants qui l’attendent pour le sucer ; écartez-en donc pour touj ours ces pirates privilégiés qui rançonnent les passants sans autres armes que des parchemins ! » Il faut ajouter que nul ne se souciait de l’entretien, si bien qu’en dernière analyse tous ces droits n’étaient plus que des sortes de taxes locales indirectes, considérées . comme des impositions ordinaires et soumises en cette qualité soit au doublement général, soit à l’augmentation de tant de sols par livres.

Sans doute ces divers inconvénients n’étaient pas particuliers au péage. Mais, tandis que d’autres taxes ont pu s’affermira mesure que l’état social s’améliorait, il semble que les progrès économiques aient plutôt compromis l’existence de celui-ci.

La prospérité du commerce et de l’industrie est directement liée au développement des communications. Or, l’acquittement d’un droit de passage sur les voies de terre ne pouvant aller sans un arrêt dans la circulation, si sur chaque route nouvelle un nouveau droit est perçu, il s’ensuit une accumulation de retards et de formalités des plus préjudiciables à la rapidité des transports. Les frais de perception étant avec cela fort élevés, les recettes ne suffisent bientôt plus aux obligations immédiates d’entretien et de réparation, et Ton tombe dans l’alternative ou de subir des pertes, ou d’élever le tarif à un taux excessif. La taxe des grandes routes ne laisse subsister aucun doute à cet égard : en trois ans, de l’an V à l’an IX, elle a fait entrer dans les caisses du Trésor près de 33 millions dont le recouvrement n’a pas coûté moins de 7 800 000 fr., soit une proportion de 23p. 100 environ. La majoration des droits, tentée en Tan VIII, ne fit que démontrer la nécessité d’abandonner un pareil système. S’il n’avait été pris de suite, ce parti n’aurait pas tardé à s’imposer, car on s’imaginerait difficilement le réseau actuel des routes et chemins soumis au régime du péage : le salaire d’innombrables préposés absorberait à lui seul plus que ne rapporteraient les droits, et le roulage trébucherait à chaque pas dans une barrière, ou mieux, il n’existerait plus. C’est-à-dire que le péage devient impraticable sur la voirie par terre, dès que celle-ci prend une certaine extension.

Pour les canaux, il est clair que le bateau qui circule doit stationner aux écluses, et l’exploitation des voies navigables comportant l’installation permanente d’un personnel spécial, les frais généraux ne sauraient être sensiblement augmentés parla perçep-