Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/52

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chose à quelqu’un, c’est simplement appliquer une richesse nouvelle, créée par les circonstances, au bénéfice de la société, au lieu de permettre qu’elle devienne l’apanage d’une classe qui ne l’a pas gagnée. C’est précisément ce qui se passe avec la rente. » Aussi, nous ne devons pas nous étonner que beaucoup de personnes, frappées de la diminution progressive de la contribution territoriale par rapport au produit net, aient cherché le remède à ce qu’ils considèrent comme ■une injustice (V. toutefois Incidence de l’impôt, § 6 et 12). Bien des propositions ont été faites en vue de proportionner plus exactement la taxe au revenu la plupart d’entre elles ne soutiennent pas l’analyse ; les autres, comme nous l’avons déjà expliqué, parfaites en théorie, se heurtent dans la pratique à des difficultés invincibles. Stuart Mill lui-même indique tout un plan destiné à saisir la plusvalue de la rente, dont le moindre défaut est d’opérer sur des moyennes et d’être par suite profondément injuste. C’est qu’en effet, si la terre acquiert chaque année une plus grande valeur, presque toujours le propriétaire ne ménage ni sa peine ni ses capitaux pour développer l’utilité sociale de sa chose. En admettant donc qu’on parvienne jamais à connaître le revenu exact d’un champ, quelle part assigner, dans l’augmentation totale de ce revenu, aux circonstances générales ; quelle part attribuer à l’habileté ou aux dépenses ■du possesseur ? Voici un propriétaire aisé et actif ; il fume ses terres, irrigue ses prairies, répare ses bâtiments, achète des instruments aratoires perfectionnés, pendant que la commune, ayant pris plus d’importance, trace des routes qui traversent son domaine et se dirigent vers une nouvelle station de chemin de fer. Évidemment, le revenu de ce propriétaire va s’élever, mais quelle portion de l’accroissement est due aux efforts de la communauté ?

Prétendre le déterminer serait 

tomber dans l’arbitraire. Voici, à côté, un autre propriétaire : celui-ci est obéré, il doit 50 000 francs sur une propriété qui, au jour de l’expropriation, suffira à peine à désintéresser ses créanciers et cependant le percepteur le poursuit et le force d’acquitter sa part d’impôt. Peut-on dire qu’il jouisse d’un revenu ? Non ; le propriétaire véritable est ici le créancier hypothécaire que le fisc n’atteint pas ; mais le recouvrement n’en reste pas moins légitime, si l’on admet qu’il s’agisse d’un produit domanial dû par un fermier de l’État. Reconnaissons donc à la contribution foncière son caractère de redevance réelle et n’essayons pas de la transformer en impôt sur le revenu ; nouvelle tâche de Sisyphe, aussi fastidieuse, aussi désespé-

— IMPOT FONCIER 

rante ; sorte de mirage qui égare l’esprit et l’entraîne vers les plus dangereuses conclusions. La logique et la méthode qu’on cherche vainement dans les diverses tentatives de péréquation, on les trouve en effet dans les revendications de l’école communiste contemporaine. Pour cette école, l’impôt foncier n’est qu’un moyen de réparation sociale, une arme destinée à détruire les abus. Comme elle n’a jamais reconnu les bienfaits de l’appropriation et qu’elle veut revenir à la propriété collective du sol, c’est sur l’impôt qu’elle compte pour réaliser son idéal. Moins franche que sa devancière, elle abandonne la coque à la condition qu’on lui livre l’amande. Qu’importe qu’il y ait encore des gens qui achètent, qui vendent, qui donnent, lèguent ou partagent la terre ; qui continuent de l’appeler leur chose, s’ils ne peuvent point la louer, si la rente territoriale cesse de leur appartenir ? Point n’est besoin de confiscation pour cela ; une contribution, suffisamment élevée, qui absorbera toute la rente et en rendra l’usage à la nation, produira le même effet. Elle lui permettra de vivre sans autre impôt ; aujourd’hui la production succombe sous le poids des taxes ; l’impôt des patentes, la contribution mobilière YincometaX ) les droits de douane, grèvent une foule d’industries ; les droits de consommation ou d’enregistrement font le reste en frappant le travail et en gênant la circulation ; tout progrès social finit par être taxé. Si elle s’empare de la rente, la nation imposera certes du même coup tous les capitaux immobilisés dans le sol au moment de la confiscation, mais cette nécessité d’imposer quelques améliorations du travail doit-elle la faire reculer et l’empêcher de dégrever toutes les améliorations ? Telle est la thèse, qui a été soutenue avec le plus d’éclat par Henry George (V. Socialisme) et qui a rencontré un certain nombre d’adhérents en Angleterre et aux États-Unis, même parmi les hommes instruits. La théorie de l’impôt-rente n’est au fond que la théorie des physiocrates (voy. ce mot), celle d’un impôt unique sur le sol, mais elle va au delà de celle-ci, car elle ne laisse rien aux propriétaires.

« Si nous avions affaire avec ceux qui ont volé son héritage à la race humaine, disait Herbert Spencer, nous pourrions en finir rapidement. » Comme nous avons affaire à des hommes qui possèdent la terre, au même titre et tout aussi légitimement que les autres richesses, l’impôt-rente est un vol à son tour. Aussi, ne regardons pas en arrière et contentons-nous d’exiger la redevance, toute la redevance que chaque parcelle du sol doit actuellement à l’État. Cette rede-