Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/55

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vage. De là chez les hommes libres des efforts permanents,énergiques, pour maintenir entre eux l’égalité de condition ; or, dans les États grecs où les esclaves se trouvent en nombre plus considérable que les citoyens, l’impôt est une grande charge puisqu’il ne se répartit que sur un nombre restreint de tètes. Les lois ont par suite pour objet, avant tout, de conserver l’égalité, particulièrement en ce qui concerne, les charges fiscales. Les institutions de Lacédémone et d’Athènes sont, à ce point de vue, extrêmement curieuses. Il ne fallait pas que le prélèvement de l’impôt vînt créer ou aggraver les inégalités sociales. Lacédémone a succombé à l’effort ; Athènes a résisté plus longtemps, grâce à sa situation maritime ; puis elle est devenue un simple municipe romain.

Le fait fiscal qui se montre déjà dans les constitutions de ces deux États, c’est l’influence, sur l’incidence des impôts, d’une forte majorité de gens qui, ne pouvant les acquitter, les réfléchissent sur autrui. Les États esclavagistes sont, en conséquence, condamnés à de grands profits, surtout quand l’esclave joue dans la production un rôle aussi important qu’à Lacédémone ou qu’à Athènes. En apparence, pendant la république romaine, la situation semble autre ; l’esclavage est moins important, notamment jusqu’après les guerres puniques ; mais les institutions politiques étant aristocratiques, les citoyens pauvres exclus des droits politiques et exemptés des charges fiscales, les impôts retombent encore sur une minorité qui se réduit bientôt à une oligarchie militaire. Elle entreprend la conquête de l’Italie, puis celle du monde, pour échapper au sort de Lacédémone et d’Athènes.

Quel est le premier fruit de cette conquête ? L’abolition de tous les impôts. Pourquoi cette abolition ? Parce que tous les impôts retombaient sur les mêmes classes. Non seulement on abolit les impôts, mais on organisa les ..fois frumentaires qui correspondent exactement, en tenant compte de la différence des époques et des sociétés, aux législations «galitaires de Lacédémone et d’Athènes. . L’abolition des impôts et les lois frumentaires devaient nécessairement amener la ■fin de la république et l’avènement de l’empire qui, en effet, rétablit l’impôt. Les difficultés que les empereurs rencontrèrent provenaient de l’état de la société ; les impôts ■restaient fatalement à la charge exclusive des classes riches.

. Tant que l’empire put résister aux causes •de dislocation qui le menaçaient, les classes riches furent à même de faire face au fardeau. Il y eut même un moment, sous Dioclétien et SI — INCIDENCE DE L’IMPOT

Constantin, où elles reçurent quelque concours de_ la part des premières couches qui se formaient, alors, des classes moyennes, à la suite de la diminution de l’esclavage. Les invasions troublèrent profondément cette transformation et l’empire s’effondra faute de ressources.

L’impôt alors se décentralisa ; les publicités ont signalé le fait que les grands propriétaires s’emparaient de l’impôt. Eux seuls l’acquittaient. Ils conservèrent leur bien ; mais esclaves, serfs, ou colons, réfléchissaient forcément l’impôt ; l’impôt était une charge au-dessus de leurs forces. Le cartulaire de Samt-Germain-des-Prés qui, cependant, date du ix« siècle, montre l’état réel, l’inventaire de ceux qui étaient contribuables. L’esclave n’a jamais été contribuable ; il a fallu des siècles pour que le serf le devînt. Le serf questal lui-même réfléchissait l’impôt. Lïmpôt a reparu dans la seigneurie, parce que la seigneurie a été un centre de production où différents intérêts sont nés, se sont détachés les uns des autres, où des épargnes se sont faites, où le colon, devenu propriétaire de censives, a pu payer un cens, moitié impôt, moitié redevance.

Avec le temps, l’impôt a repris son ancien caractère de généralité, mais une évolution sociale s’était faite. L’esclavage avait disparu, le servage lui-même avait fait place à la propriété roturière. L’état social était différent, le nombre des personnes capables de supporter l’impôt était tout autre dans les campagnes, tout autre dans les villes. Néanmoins, ce n’est qu’avec les plus grandes difficultés et après beaucoup de temps, que les gouvernements modernes sont parvenus à constituer leurs systèmes d’impôts. L’aisance actuelle des populations trompe complètement sur les ressources qu’elles possédaient, même sous Louis XIV.

L’incidence de l’impôt est donc essentiellement dominée par l’état social. L : impôt ne peut tomber ni sur l’esclave, ni sur le serf, ni sur le colon servile, ni sur le serf questal^ ni sur l’homme noir de La Bruyère ; c’est à peine si le paysan qui servit à Jean-Jacques Rousseau un morceau de pain si dur, consent à le payer.

La théorie des physiocrates et celle de Ricardo reposent sur ce même fait. Quesnay admettait que les paysans du Limousin ne porteraient jamais de montre en argent et Ricardo, comme beaucoup de protectionnistes distingués, croyaient l’ouvrier condamné à émigrer ou à mourir. C’était un sort pire que celui de l’esclave.

Le grand fait de notre siècle, c’est que le travailleur ne réfléchit plus l’impôt. Il est