Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

âiîgré de complication dont elle soit susceptible à un moment donné.

De nos jours, chez les peuples les plus ci-Tâlisés, on ne pourrait sans doute pas prétendre que la division du travail soit poussée aussi loin qu’on pourrait le concevoir. Nous sommes dans une phase de transition et le passé a laissé dans nos habitudes des traces saisissables. A la campagne, notamment, on trouve encore des exemples de travail en commun, et surtout le cumul de plusieurs tâches par un même individu n’y est pas rare. C’est que les inlluences dont nous venons de parler ont été contre-balancées par les difficultés inhérentes à ce milieu spécial. Mais, si Ton néglige ces faits qui n’ont plus qu’un caractère exceptionnel, on peut affirmer que, prise dans l’ensemble, l’industrie possède aujourd’hui tout ses organes et que chacun d’eux est approprié à sa fonction,

suffit, pour s’en convaincre, de jeter les 

yeux autour de soi. On constate aisément que la population se divise en groupes nombreux dont chacun remplit un rôle déterminé, que chaque genre de production a son personnel spécial, préparé à sa tâche et conservant même de l’habitude de cette tache ■ane marque qui le distingue, des mœurs qui lui sont propres. A travers ces groupes, passant des uns aux autres comme le long d’une filière, circulent les produits qui vont ainsi se transformant peu à peu, et se rapprochant de ceux qui les utiliseront quand ils seront achevés. Si bien que, dans cette œuvre immense de l’industrie, l’individu disparaît en quelque sorte, la part de chacun étant insignifiante dans ce prodigieux processus. Ce n’est plus l’individu qui produit, c’est la société tout entière etl’industrie apparaît très réellement comme l’une des manifestations de la puissante activité d’un gigantesque organisme.

Cela est si vrai que, de tous les individus participant à l’incessante élaboration de la richesse, pas un peut-être ne pourrait saisir dans le détail de ses conditions le mouvement qui s’opère. Chose étrange, quelques esprits timorés en ont conclu que l’État devait prendre la direction de l’industrie pour en coordonner les opérations. Ils oubliaient que les hommes d’État, pour transcendants qu’on les suppose, ne sont que des hommes, incapables comme les autres d’embrasser d’un coup d’œil l’œuvre qui s’accomplit. Ils oubliaient, en même temps, que, malgré les apparences, cette œuvre ne se fait pas au hasard, un mécanisme économique agissant spontanément pour en assurer la régularité. Si, en effet, chaque individu n’a qu’une conception vague de l’ensemble, il a du moins une vue très nette de son intérêt propre et de ce qu’il doit faire pour le servir. Pareil aux cellules qui composent les organismes vivants, il cherche sa propre vie, et c’est en la cherchant que, par une loi supérieure, il coopère à la vie de l’ensemble. Pour l’industrie, cette loi supérieure n’est autre que la loi de la concurrence (voy. ce mot). Assurant la prédominance des plus hardis, des plus intelligents ou de ceux que la possession des capitaux met à même de jouer le rôle de chefs, elle organise d’abord les groupes et les range sous la discipline des entrepreneurs. Ceux-ci, à leur tour, ■ obligés pour réussir de se montrer adroits et prévoyants, s’efforcent de recueillir tous . les indices propres à éclairer leur marche. Ils observent donc attentivement le milieu au sein duquel ils agissent, le groupe dont ils font partie et ceux dont les intérêts sont immédiatement mêlés aux leurs. Il se fait ainsi en même temps qu’une division du travail de production, une division du travail de coordination et, si l’infinie multiplicité des détails et des nuances reste insaisissable à l’esprit (qui n’en peut concevoir qu’une vue théorique), chacun des mille éléments de la production est cependant connu de ceux qui ont la tâche d’en assurer l’élaboration. Nul ne pourrait dire aujourd’hui quelle quantité de pain il faudra fabriquer demain en France pour que tous ceux qui veulent et peuvent en acheter soient satisfaits, mais chaque boulanger sait exactement ce qu’il doit cuire pour les besoins de sa clientèle. De même, celui qui extrait la matière première du sol est averti de l’extension à donner à son entreprise par la demande des manufacturiers, ceux-ci sont renseignés par les commandes des commerçants, et ces derniers eux-mêmes ont eu soin de prendre les ordres des consommateurs. Sans qu’il soit besoin que personne en ait conscience, un mot d’ordre court de long de cette filière et, dès qu’elle commence, la production se trouve orientée vers son but.

Ce n’est pas à dire que, laissée ainsi à elle-même, l’industrie fonctionne de façon impeccable. Bien des imprudences, des maladresses, des erreurs sont commises, dont chacune a son contre-coup sur l’ensemble. Les crises économiques, dues plus souvent à l’ignorance et au manque de prévision qu’aux mauvaises récoltes ou aux fléaux naturels, en fournissent regrettablement la preuve. Mais ce sont là les suites inévitabiei des imperfections des hommes. Elles ne doivent pas empêcher d’admirer le fonctionnement spontané de l’industrie sous l’aiguillon de la concurrence ; elles ne doivent pas sur.