Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les richesses acquises, s’il néglige sa production et s’adonne avec excès aux vaines consommations du luxe, il consomme sa richese tout en en laissant tarir les sources. Cette décadence économique insensible amène à sa suite les phénomènes qui feront, à la longue et progressivement, hausser le taux de l’intérêt : diminution du capital, emprunts voluptuaires bientôt suivis des emprunts de pauvreté.

faut signaler en dernier lieu les obstacles 

artificiels qui peuvent être apportés à l’avilissement du taux de l’intérêt. Ils sont pour la plupart le fait de l’État dont le concours est réclamé dans ce but. La suite de cette étude nous fournira l’occasion de nous étendre sur ce point.

Si l’on recherche comment il se fait que les causes qui interrompentla marche décroissante de Tintérêt, malgré qu’elles puissent être nombreuses et parfois de portée considérable, ne puissent neutraliser définitivement celles qui favorisent ce mouvement, on peut, croyons-nous, en donner pour raison que celles-ci paraissent permanentes et inhérentes à la marche du progrès, tandis que les premières ne se présentent que comme temporaires et accidentelles.

On a donc pu se demander quelle sera là limite de ce mouvement, et même si l’intérêt ne disparaîtra pas tout à fait. Ce serait là une prévision paradoxale, que Ton a très justement comparée au raisonnement qui conclurait de la faculté qu’a l’homme de réduire sa nourriture à mesure que ses occupations deviennent plus élevées, qu’il finira par ne plus manger du tout. Demander si l’intérêt est destiné à tomber à zéro c’est demander si le crédit est appelé à disparaître un jour.

Aussi longtemps qu’il se rencontrera des hommes industrieux et actifs pour mettre le capital en œuvre et le féconder par le travail, le capital sera demandé et une rémunération lui sera offerte ; cette rémunération devra toujours rester suffisante pour couvrir le risque et compenser la privation.

est d’ailleurs tout à fait invraisemblable 

fu’un avilissement définitif du taux de l’intérêt soit le terme fatal et nécessaire auquel ]e capital soit condamné sans retour. Outre qu’on ne peut pas encore espérer que l’humanité en ait fini avec les troubles civils, les guerres, les dilapidations publiques ou privées, il est non moins impossible de prévoir que le champ des opérations très productives soit épuisé. Un état stationnaire peut persister en des pays d’ancienne civilisation pendant des années ou peut-être des siècles, avec un faible taux d’intérêt, mais faire place un jour à de nouveaux essors de création de richesse, à des inventions fécondes exigeant de grandes avances de capitaux qu’une production régénérée pourra rémunérer abondamment.

Enfin, et en dehors des transformations heureuses qui restent toujours possibles, le vieux monde ne serait condamné à un taux d’intérêt définitivement avili que s’il cessait de reculer les bornes de la civilisation et d’en répandre les bienfaits dans les immenses contrées vierges qui s’étendent presque sans limites autour de lui. Le rôle des pays où le capital trop abondant ne trouve que peu de services à rendre est de déverser cet excédent de capitaux sur les contrées neuves qui ne demandent qu’à être fécondées et exploitées pour se transformer en sources de richesses.

On peut, pour résumer les considérations qui précédent, formuler ainsi la loi qui préside à la baisse du taux de l’intérêt : A ’partir du moment où Vintérêt n’a plus oVautre régulateur que la productivité du capital, le taux tend à décroître sous Vinfluence du progrès économique.

La baisse se produit et se continue dans la mesure où la quantité du capital disponible excède ce qui en est demandé pour des emplois fructueux-

Bien que souvent interrompue par des per~ turbations diverses, cette marche décroissante se poursuit à la longue, avec une manifeste continuité, .

Les découvertes permettant d’accroître les services que peut rendre le capital et la colonisation sont les seuls obstacles heureux qui puissent être opposés à l ’avilissement définitif du taux de Vintérêt.

. Conséquences sociales de l’intérêt quand il n’est pas basé sur la production. — Origine des anciennes prohibitions.

Si la question de l’intérêt a attiré l’attention des philosophes de l’antiquité, si elle a préoccupé les docteurs religieux et les législateurs de toutes les époques, il est vraisemblable que c’est uniquement à cause de ses conséquences sociales.

La théorie d’Àristote sur la stérilité de l’argent serait restée aussi oubliée que les rêves de Platon sur la gratuité du crédit, et le prêt à intérêt n’aurait jamais compté des adversaires comme Caton, Sénèque, Plutarque, Pline, et plus tard les pères de l’Église, saint Thomas, Luther, Bossuet, Pothier, sans les abus énormes que la société romaine fit du prêt à intérêt et dont les conséquences furent telles que l’usure garda jusqu’à la fin de l’empire le caractère d’une plaie sociale.