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mécanisme trop souvent appliqué dans des conditions anti-économiques. Les victimes de ces fausses théories et des applications erronnées de- l’intérêt ont, à Fenvi, fait appel à l’État pour lui demander, les unes de consacrer la condamnation qu’ils portaient contre l’intérêt, les autres de prévenir les abus auxquels il pouvait donner lieu.

On a successivement réclamé de l’État l’abolition des dettes, la prohibition de l’intérêt, la réglementation du taux, la répression de l’usure en attendant qu’on lui demande la « socialisation du capital », c’est-à-dire la confiscation progressive du capital au profit de « la collectivité ».

Cette intervention de l’État, si souvent réclamée, a été longtemps appliquée à des degrés divers ; nous n’avons à l’étudier ici qu’en ce qui concerne la prohibition et la limitation de l’intérêt.

. Prohibition de l’intérêt.

Trois raisons s’opposent à une prohibition législative de l’intérêt.

Et d’abord, puisque l’intérêt est une rétribution fondée sur le bénéfice que le capital est susceptible de donner, l’État ne saurait en contester la légitimité.

Puisque l’intérêt est, en outre, le plus puissant moteur de la circulation du capital et, par là, un multiplicateur énergique de la production, ïe législateur ne pourrait le frapper d’interdit sans décréter une irrémédiable décadence économique.

Enfin, la loi, malgré ses défenses, a toujours été impuissante à le bannir d’une société.

N’ayant pas à revenir sur les considérations précédemment développées relativement à la légitimité et au rôle économique de l’intérêt, nous nous bornerons à rappeler brièvement les résultats d’une longue expérience de dix siècles.

Les interdictions qui ont pesé sur le prêt à intérêt depuis Charlemagne jusqu’à l’Assemblée constituante de 1789 n’ont empêché ni la ruine des emprunteurs téméraires ni les exactions des usuriers ; elles n’ont pas réussi d’avantage à mettre un obstacle absolu à la circulation et à la fructification du capital. On sait comment les défenses canoniques et civiles furent constamment éludées par l’emploi des contrats les plus divers, « détours captieux » que les anciens jurisconsultes appelaient des « usures palliées » par opposition aux (.(. usures formelles », et la guerre faite à ces déguisements par les canonistes, « ces grands investigateurs d’usuriers ». La prohibition ne fut ainsi qu’une digue inpuissante à laquelle la force incoercible des lois

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économiques faisait chaque jour une brèche nouvelle.

En dehors de tout artifice juridique, la prohibition ne put être aussi longtemps maintenue sans que de nombreux tempéraments ou même des dérogations formelles y fussent apportés. C’est ainsi que le manque de capitaux fit tolérer les usures des Juifs et des Lombards ; que les nécessités du commerce suscitèrent des privilèges analogues en faveur des marchands qui se rendaient aux foires de Champagne, de Brie et de Lyon ; et qu’enfin il fut permis à chacun de retirer un revenu de ses capitaux en recourant au contrat de rente viagère ou de « rente constituée en perpétuel ».

Ces constitutions de rentes devinrent, poulies églises et les couvents aussi bien que pour la noblesse et la bourgeoisie, le moyen le plus fréquent et le plus universellement appliqué de faire. valoir les capitaux ; si bien que les taux de ces rentes, fixés de temps à autre par des ordonnances royales, sont les plus sûrs documents que nous ayons aujourd’hui sur la valeur du loyer des capitaux pendant toute la durée de l’ancienne monarchie.

Rappelons, en dernier lieu, que la tradition avait maintenu, dans les pays de droit écrit, la pratique du prêt à intérêt qui était resté fortement enraciné dans les mœurs sous l’influence du droit romain.

. Réglementation du taux de l’intérêt. De ce que la quotité de l’intérêt et ses fluctuations sont des phénomènes d’ordre purement naturel résultant du jeu de lois économiques qui échappent à toute action, il s’ensuit que le législateur est impuissant, soit à fixer avec certitude et équité un taux d’intérêt général et uniforme, soit à assigner utilement des limites d ses variations.

De telles mesures ne sont pas seulement une méconnaissance des principes économiques, elles sont, en outre, une négation de la réalité des faits. Il y a, en effet, contradiction à prétendre réglementer le taux de l’intérêt alors qu’on ne peut agir directement sur les causes qui le déterminent. Sans parler de ce que ces sortes de réglementations sont à ce point faciles à éluder qu’on a pu les comparer à des toiles d’araignée que chacun peut écarter du bout de son doigt, il faut montrer ici que la limitation de l’intérêt, tout aussi bien que la fixation d’un taux obligatoire, constitue une mesure nécessairement arbitraire, injuste et inefficace. Elle est arbitraire, car elle applique une règle uniforme à des circonstances qui varient suivant les époques et les lieux, et dans