Page:Say - Cours complet d'économie politique pratique.djvu/94

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sables du moment que les hommes y trouvent assez de jouissances pour y mettre un prix quelconque. La vanité est quelquefois pour l’homme un besoin aussi impérieux que la faim. Lui seul est juge de l’importance que les choses ont pour lui et du besoin qu’il en a[1].

C’est l’utilité des choses ainsi conçue qui est le premier fondement de la valeur qu’elles ont ; mais il ne s’ensuit pas que leur valeur s’élève au niveau de leur utilité : elle ne s’élève qu’au niveau de l’utilité qui leur a été communiquée par l’homme. Le surplus de cette utilité est une richesse naturelle qui ne se fait pas payer. On consentirait peut-être à sacrifier vingt sous pour une livre de sel, s’il fallait la payer en proportion du service qu’elle peut rendre ; mais on n’est heureusement obligé de la payer qu’en proportion de la peine qu’elle coûte. Tellement que, s’il vous plait d’évaluer la jouissance que vous procure cette denrée à vingt sous la livre, et qu’elle ne vous coûte qu’un sou, il y a dans une livre de sel pour 19 sous de richesse naturelle qui vous est donnée gratuitement par l’auteur de la nature, et pour un sou seulement de richesse sociale, c’est-à-dire, de valeur non gratuite donnée par l’homme qui a recueilli le sel et qu’il vous fait payer.

Le possesseur d’une chose peut, dans certains cas et par des moyens forcés, en élever la valeur fort au-dessus de sa valeur naturelle. Celui qui a apporté dans ma ville ou dans mon village une provision de sel, peut me ravir tout autre moyen de m’en pourvoir, et il me vendra alors sa marchandise le prix qu’il voudra[2]. Cela n’indique pas que la valeur du sel ait réellement haussé ; cela indique seulement que cet homme abuse de ma situation, et me fait payer le sel au-delà de sa valeur. C’est une spoliation. Quand un voleur m’oblige sur la grande route à lui céder un bon cheval contre un mauvais, il n’en résulte pas que ce dernier cheval vaille autant que l’autre ; il en résulte seulement qu’on me prend de force une partie de mon bien.

On ne peut pas dire que les richesses que la nature nous donne gratuitement suffisent à la satisfaction de nos besoins indispensables, et que les

  1. Ces notions doivent suffire dans cette partie du Cours où il ne s’agit que de savoir de quelle manière on produit. Plus tard on verra ce qu’il convient aux hommes de consommer.
  2. Cette supposition représente ce qui se passait sous l’ancien régime en France, où il était défendu à un pauvre paysan habitant le bord de la mer, d’y puiser une cuillerée d’eau pour saler son pot.