Page:Say - Cours complet d'économie politique pratique.djvu/93

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Voilà, messieurs, une remarque qui nous avance singulièrement ; car si nous pouvons constater que l’on peut donner à une chose une utilité qu’elle n’aurait pas eue par elle-même ; si cette utilité lui donne de la valeur, et si cette valeur est de la richesse, nous avons la certitude que nous pouvons créer de la richesse.

Cherchons donc à savoir en quoi consiste cette utilité ; nous apprendrons ensuite comment elle peut être communiquée aux choses.

Nos besoins rendent utile pour nous tout ce qui peut les satisfaire. Ces besoins, ainsi que l’observation vous en a été faite, dépendent de la nature physique et morale de l’homme et des circonstances où il se trouve placé. Partout il a besoin d’alimens ; dans les climats froids, il lui faut des vêtemens, des abris ; dans les pays civilisés, il a besoin que ses habits, non-seulement le couvrent, mais le décorent, et lui concilient une espèce de considération qui est un besoin aussi ; dans une civilisation encore plus avancée, les besoins de l’esprit viennent se joindre à ceux du corps. L’homme alors recherche des livres, des gravures et d’autres moyens délicats de s’amuser et de s’instruire.

Les besoins changent avec les mœurs et les usages des nations. Ils changent encore avec l’âge, les goûts, les passions, et même avec les travers des individus. À la Chine, le ginseng est une racine estimée pour ses vertus médicinales. On l’y vend, dit-on, jusqu’à 48 onces d’argent la livre, qui feraient environ 300 fr. de notre monnaie ; tandis qu’à Paris un homme qui posséderait une livre de ginseng, lie trouverait probablement à la vendre pour aucun prix. Les marcassites[1] avaient de la valeur autrefois en France, parce qu’on en faisait des bijoux, et n’en ont plus maintenant que ce genre d’ornement est tout-à-fait passé de mode. Au quinzième siècle, on avait besoin de chapelets en Angleterre et en Hollande^ maintenant on ne sait pas même, dans ces pays-là, ce que c’est qu’un chapelet, ni l’usage qu’on peut en faire. Aux yeux du moraliste, une fleur artificielle, une bague au doigt, peuvent passer pour des objets complètement inutiles. Aux yeux de l’économiste, ils ne sont plus mépri-

  1. Pyrites ne s’altérant pas au contact de l’air; on les tirait du Jura et d’Allemagne et on les montait comme des pierres précieuses. (Note de l’Éditeur).