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DISCOURS

corps d’opinions hypothétiques, plus ou moins ingénieux, mais purement individuels. Ces savans se fondent sur ce qu’il n’y a pas d’accord entre les écrivains qui en traitent, et sur ce que quelques-uns d’entre eux professent de véritables extravagances. Quant aux extravagances et aux hypothèses, quelle science n’a pas eu les siennes ? Y a-t-il beaucoup d’années que les plus avancées d’entre elles sont dégagées de tout système ? Que dis-je ? Ne voit-on pas encore des cervelles contrefaites en attaquer les bases les plus inébranlables ? Il n’y a pas quarante ans qu’on est parvenu à analyser l’eau qui soutient la vie de l’homme, et l’air où il est perpétuellement plongé ; et tous les jours encore on attaque les expériences et les démonstrations qui fondent cette doctrine, quoiqu’elles aient été mille fois répétées en divers pays, et par les hommes les plus instruits et les plus judicieux. Le défaut d’accord existe sur des faits bien plus simples, bien plus évidens que ne le sont la plupart des faits moraux. La chimie, la physique, la botanique, la minéralogie, la physiologie, ne sont-elles pas des champs clos où les opinions viennent se heurter, tout comme dans l’économie politique ? Chaque parti voit bien les mêmes faits, mais il les classe différemment et les explique à sa manière ; et remarquez bien qu’on n’observe pas dans ces débats que les vrais savans soient d’un côté et les charlatans de l’autre : Leibnitz et Newton, Linné et Jussieu, Priestley et Lavoisier, De Saussure et Dolomieu, étaient tous gens de mérite, et n’ont pu s’accorder. Les sciences qu’ils ont professées n’existaient-elles pas, parce qu’ils se sont combattus ? De même, les lois générales dont se composent les sciences politiques et morales existent en dépit des disputes. Tant mieux pour qui saura découvrir ces lois par des observations judicieuses et multipliées, en montrer la liaison, en déduire les conséquences. Elles dérivent de la nature des choses, tout aussi sûrement que les lois du monde physique ; on ne les imagine