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DISCOURS

principe qui n’est fondé lui-même que sur une argumentation, on risque d’imiter les scolastiques du moyen-âge, qui discutaient sur des mots, au lieu de discuter sur des choses, et qui prouvaient tout, hors la vérité.

Il est impossible de se dissimuler que Ricardo a fondé un principe sur une argumentation, lorsqu’il a dit que le revenu des propriétaires fonciers ne fait pas partie du prix des choses. De ce principe il tire plusieurs conséquences ; de ces conséquences il en tire d’autres, comme si elles étaient des faits constans ; tellement que si, comme il est permis de le croire, la première donnée n’est pas exacte, tous les raisonnemens dont elle est la base, en les supposant irréprochables, ne peuvent conduire à une instruction véritable. Dans le fait, les résultats obtenus par l’auteur anglais sont fréquemment démentis par l’expérience[1].

Il s’en est suivi d’interminables discussions, où les contendans semblent avoir eu pour but, non de répandre l’instruction, mais de se convertir mutuellement ; où chacun, en oubliant le public, n’a cherché qu’à soutenir son dire ; de là des controverses quelquefois peu intelligibles[2], souvent ennuyeuses,

  1. C’est par des conséquences de ce genre, que M. Mac Culloch, à qui l’économie politique a d’ailleurs de véritable obligations, consulté, en 1824, dans une enquête parlementaire, a soutenu que les profits des maîtres manufacturiers étaient d’autant moindre que les salaires des ouvriers étaient plus élevés, et vice versa ; tandis qu’il est de fait, au contraire, que les salaires ne sont jamais plus bas lorsque les maîtres ne gagnent rien.
  2. Plusieurs économistes anglais s’en plaignent eux-mêmes et accusent ceux de leurs compatriotes qui font de la métaphysique sur l’économie politique, de chercher dans l’obscurité même un moyen de succès : « Omne ignotum pro magnifico, dit l’un des plus récens (a: A critical dissertation on value, 1825, page xvij.), n’est pas sans exemple parmi nous, et la réputation d’un auteur pour la profondeur des pensées est souvent accrue par un petit mélange d’inintelligible. Des lecteurs débonnaires attribuent une sagacité peu commune à un homme qui a pu concevoir ce qu’ils ne peuvent comprendre ; tandis qu’un arrangement des idées tel qu’elles s’enchaînent naturellement, et des expressions toutes simples, leur semblent un résultat si facile, qu’il ne s’aperçoivent pas qu’il est le fruit d’une forte conception et d’un travail opiniâtre. »