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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XVII.

L’ignorance populaire a presque eu en horreur ceux qui ont fait le commerce des grains, et les gouvernemens ont trop souvent partagé les préjugés et les terreurs populaires. Les principaux reproches qui ont été faits aux commerçans en blé, ont été d’accaparer cette denrée pour en faire monter le prix, ou tout au moins de faire, sur l’achat et la vente, des profits qui ne sont qu’une contribution gratuite levée sur le producteur et sur le consommateur.

En premier lieu, s’est-on bien rendu compte de ce qu’on entendait par des accaparemens de grains ? Sont-ce des réserves faites dans des années d’abondance et lorsque le grain est à bon marché ? Nous avons vu que nulles opérations ne sont plus favorables, et qu’elles sont même l’unique moyen d’accommoder une production nécessairement inégale, à des besoins constans. Les grands dépôts de grains achetés à bas prix, font la sécurité du public, et méritent non-seulement la protection, mais les encouragemens de l’autorité.

Entend-on par accaparemens les magasins formés lorsque le blé commence à devenir rare et cher, et qui le rendent plus rare et plus cher encore ? Ceux-là en effet, comme ils n’augmentent pas les ressources d’une année aux dépens d’une autre année qui avait un superflu, n’ont pas la même utilité et font payer un service qu’elles ne rendent pas ; mais je ne crois pas que cette manœuvre exécutée sur les blés, ait jamais eu des effets bien funestes. Le blé est une des denrées les plus généralement produites ; pour se rendre maître de son prix, il faudrait ôter à trop de gens la possibilité de vendre, établir des pratiques sur un trop vaste espace, mettre en jeu un trop grand nombre d’agens. C’est de plus une des denrées les plus lourdes et les plus encombrantes comparativement à son prix ; une de celles, par conséquent, dont le voiturage et l’emmagasinement sont le plus difficiles et le plus dispendieux. Un amas de blé de quelque valeur ne peut être rassemblé en aucun lieu sans que tout le monde en soit averti[1]. Enfin, c’est une denrée sujette à des altérations ; une denrée qu’on ne garde pas autant qu’on le veut, et qui, dans les ventes qu’on est forcé d’en faire, expose à des pertes énormes lorsqu’on spécule sur de fortes quantités.

  1. Lamarre, grand partisan des réglemens administratifs, nommé par le gouvernement, dans les disettes de 1699 et 1709, pour faire des recherches de grains et déjouer les accapareurs, convient lui-même, dans son Traité de la Police, supplément au tome II qu’il ne trouve pas vingt-cinq muids de blé à saisir.