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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

Les accaparemens par spéculation sont donc difficiles, et par conséquent peu redoutables. Les plus fâcheux et les plus inévitables accaparemens, se composent de cette multitude de réserves de précaution que chacun fait chez soi à l’approche d’une disette. Les uns gardent, par excès de précaution, un peu au-delà de ce qui serait nécessaire pour leur consommation. Les fermiers, les propriétaires-cultivateurs, les meuniers, les boulangers, gens qui par état sont autorisés à avoir quelque approvisionnement, se flattant de se défaire plus tard avec profit de leur excédant, gardent cet excédant un peu plus fort que de coutume ; et cette foule de petits accaparemens forment, par leur multiplicité, un accaparement supérieur à tous ceux que peuvent rassembler les spéculateurs.

Mais que dirait-on si ces calculs, quelque répréhensibles qu’ils soient, avaient encore leur utilité ? Quand le blé n’est pas cher, on en consomme davantage, on le prodigue, on en donne aux animaux. La crainte d’une disette encore éloignée, un renchérissement qui n’est pas encore bien considérable, n’arrêtent pas assez tôt cette prodigalité. Si alors les détenteurs de grains les resserrent, cette cherté anticipée met tout le monde sur ses gardes ; les petits consommateurs surtout, qui, réunis, font la plus grosse consommation, y trouvent des motifs d’épargne et de frugalité. On ne laisse rien perdre d’un aliment qui renchérit ; on tâche de le remplacer par d’autres alimens. C’est ainsi que la cupidité des uns remplace la prudence qui manque aux autres ; et finalement, lorsque les grains réservés sont mis en vente, l’offre qu’on en fait tempère en faveur du consommateur le prix général de la denrée.

Quant au tribut qu’on prétend que le négociant en blé impose au producteur et au consommateur, c’est un reproche qu’on fait quelquefois, sans plus de justice, au commerce de quelque nature qu’il soit. Si, sans aucune avance de fonds, sans magasins, sans soins, sans combinaisons et sans difficultés, les produits pouvaient être mis sous la main des consommateurs, on aurait raison. Mais, si ces difficultés existent, nul ne peut les surmonter à moins de frais que celui qui en fait son état. Qu’un législateur considère d’un peu haut les marchands grands et petits : il les verra s’agiter en tous sens sur la surface d’un pays, à l’affût des bons marchés, à l’affût des besoins, rétablissant par leur concurrence les prix là où ils sont trop bas pour la production, et là où ils sont trop élevés pour la commodité du consommateur. Est-ce du cultivateur, est-ce du consommateur, est-ce de l’administration qu’on pourrait attendre cette utile activité ?