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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

zone torride[1]. J’ignore jusqu’à quel point on pourrait parvenir à conserver et à transporter les bananes ; mais ce moyen n’est-il pas trouvé pour le sucre, qui, sous tant de formes, présente un aliment agréable et sain, et qui est produit avec tant d’abondance par toute la terre jusqu’au 38e degré de latitude, que nous pourrions, sans nos mauvaises lois, l’obtenir communément, malgré les frais de commerce, fort au-dessous du prix de la viande, et sur le même pied que plusieurs de nos fruits et de nos légumes[2].

Pour en revenir au commerce des grains, je ne voudrais pas qu’on se prévalût de ce que j’ai dit des avantages de la liberté, pour l’appliquer sans mesure à tous les cas. Rien n’est plus dangereux qu’un système absolu, et qui ne se ploie jamais, surtout lorsqu’il s’agit de l’appliquer aux besoins et aux erreurs de l’homme. Le mieux est de tendre toujours vers les principes qu’on reconnaît bons, et d’y ramener par des moyens dont l’action agisse insensiblement, et par là même plus infailliblement. Lorsque le prix des grains vient à excéder un certain taux fixé d’avance, on s’est bien trouvé d’en défendre l’exportation, ou du moins de la sou-

  1. On voit dans Humboldt (Essai politique sur la Nouvelle-Espagne, ch. 9), que la même étendue de terrain produit :
    en bananes, un poids de 106,000 kilogrammes,
    en pommes de terre 2,400 kil.,
    en froment 800 kil.


    Les bananiers donnent donc un produit 155 fois plus considérable que le froment, et 44 fois plus que la pomme de terre, sauf pourtant la partie aqueuse.

    Dans un pays fertile, au Mexique, un demi-hectare, cultivé en bananes de la grande espèce, peut nourrir plus de cinquante individus, tandis qu’en Europe le même terrain, en supposant le huitième grain, ne donne par an que 576 kilogrammes de farine de froment, quantité insuffisante pour la nourriture de deux individus. Aussi, rien ne frappe plus l’Européen récemment arrivé dans la zone torride, que l’étendue extrêmement bornée des terrains cultivés autour d’une cabane qui renferme une famille nombreuse d’indigènes.

  2. Le même auteur nous dit qu’à Saint-Domingue on évalue le produit d’un carreau de terre qui a 5,405 toises carrées, à 4 milliers de sucre ; et que tout le sucre que l’on consommait en France, en l’évaluant à 20 millions de kilogrammes, pourrait être produit sur un terrain de sept lieues carrées. Il faudrait plus de terrain maintenant que la consommation de la France est plus que doublée. Mais, pour fournir l’Europe de denrées équinoxiales, de quelle ressource ne seraient pas, si l’on s’y prenait bien, les côtes d’Afrique qui sont si près de nous !