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Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/230

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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

libre, nulle jouissance ne balance pour lui la fatigue d’un travail ; et si son travail n’est pas soutenu, la terre et le capital désoccupés pendant une partie du temps, rendent la production onéreuse.

Il est vrai qu’Haïti prospère depuis l’abolition de l’esclavage ; mais il ne faut pas croire que le travail y soit complètement volontaire. Tout nègre sans propriétés, pour n’être pas traité en vagabond, doit avoir un maître ou travailler dans une exploitation agricole quelconque ; sur chaque habitation il est soumis à des réglemens qui infligent des peines sévères pour un travail imparfait, de même que pour une oisiveté volontaire. Malgré cela, la culture du sucre y revient plus cher que dans les îles voisines[1], et il est douteux qu’elle puisse y être continuée avec succès. Heureusement que cette île peut se dédommager de cette culture par beaucoup d’autres qui conviendront autant à son climat et beaucoup mieux à son état politique et moral, telles que le café, le coton, l’indigo, et peut-être le cacao et la cochenille. Peu de contrées du globe sont plus favorisées de la nature pour produire ce qui est propre à la consommation de ses habitans et à leur commerce.

Au surplus, il ne s’agit pas uniquement de savoir pour quel prix on peut faire travailler un homme, mais pour quel prix on peut le faire travailler sans blesser la justice et l’humanité. Ce sont de faibles calculateurs que ceux qui comptent la force pour tout, et l’équité pour rien. Cela conduit au système d’exploitation des arabes bédouins qui arrêtent une caravane, et s’emparent des marchandises qu’elle transporte, sans qu’il leur en coûte autre chose, disent-ils, que quelques jours d’embuscade et quelques livres de poudre à tirer. Il n’y a de manière durable et sûre de produire que celle qui est légitime, et il n’y a de manière légitime que celle où les avantages de l’un ne sont point acquis aux dépens de l’autre. Cette manière de prospérer est la seule qui n’ait point de fâcheux résultats à craindre ; et les événemens arrivés me donneraient trop d’avantages, si je voulais mettre en parallèle le déclin et les désastres des pays dont l’industrie se fonde sur l’esclavage, avec la prospérité de ceux où règnent

  1. Le président Loyer, dans une proclamation du 20 mars 1825, se plaint des caboteurs haïtiens qui vont dans les autres îles (Cuba, la Jamaïque,) pour y charger du sucre, du tafia, du rhum, et, par l’appât d’un gain illicite, les introduisent sur notre territoire dit le président, contre le vœu de nos lois. La contrebande n’introduirait pas ces produits en Haïti, s’ils ne revenaient pas à meilleur marché dans les autres îles.