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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XIX.

des principes plus libéraux ; principes qui gagnent journellement du terrain, et qui couvriront bientôt de nations florissantes le Nouveau-Monde, pour l’instruction de l’Ancien.

Cette considération rendra bientôt superflue toute controverse sur le travail des esclaves comparé avec celui des ouvriers libres. L’esclavage ne peut pas subsister avec les nouvelles formes sous lesquelles, dans ses progrès, se présente la civilisation. Déjà l’on n’entend plus parler sans un soulèvement de cœur, de la traite des nègres. Il est si honteux de faire métier de voler ou de recéler des hommes, et de fonder son gain sur des souffrances, que personne n’ose prendre la défense de cet infâme trafic, de peur de passer pour en être complice. Les puissances maritimes prépondérantes ne veulent plus le tolérer ; et si quelques gouvernemens d’Europe se laissent encore guider par des habitudes et des préjugés qu’ils n’osent avouer, ils sont sans influence et d’autant plus faibles qu’ils sont désavoués par la partie éclairée et vertueuse de leurs nations. L’esclavage ne peut subsister long-temps dans le voisinage de nations nègres affranchies, ni même de nègres citoyens, comme on en voit aux États-Unis. Cette institution jure avec toutes les autres et disparaîtra par degrés. Dans les colonies européennes, elle ne peut durer qu’avec le secours des forces de la métropole ; et la métropole, s’éclairant, leur retirera son appui.

Il est impossible que les peuples d’Europe ne comprennent pas bientôt combien leurs colonies leur sont à charge. Ils supportent une partie des frais de leur administration militaire, civile et judiciaire, une partie de l’entretien de leurs établissemens publics, et notamment de leurs fortifications ; ils tiennent sur pied pour leur conservation une marine dispendieuse qui n’empêchera pas qu’à la première guerre maritime elles ne deviennent indépendantes ou conquises ; mais ce qui leur est encore bien plus défavorable, elles leur accordent, à leurs dépens, des priviléges commerciaux, qui sont une véritable duperie.

La France consomme annuellement 50 millions de kilogrammes ou 100 millions de livres de sucre[1]. Elle les paie à la Martinique et à la Guadeloupe sur le pied de 50 fr les cent livres, non compris les droits, et les obtiendrait à la Havane pour 35 fr, non compris les droits égale-

  1. Ceci a été écrit en 1826. Les grands changemens survenus pendant le premier quart du dix-neuvième siècle, dans les productions et le commerce des pays d’outre-mer, ont nécessité de grands changemens, non dans les principes, mais dans les exemples et les développemens de cette partie du Traité de l’Économie politique.