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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

ment ; de sorte qu’en soumettant les uns et les autres à des droits égaux, la France, en se pourvoyant de sucre à la Havane, dépenserait par année 15 millions de moins qu’elle ne fait, pour cette denrée seulement. D’autres contrées lui en fourniraient à meilleur marché encore[1]. Il en est de même de quelques autres produits coloniaux ; de sorte que si nous n’avions point de colonies, nous aurions à dépenser de moins, outre les frais de leur administration[2] et l’état militaire que nécessite leur conservation, 20 millions de francs pour le moins, et probablement davantage, sans que les rentrées du fisc en fussent altérées. Elles seraient probablement améliorées ; car une aussi forte diminution dans le prix des denrées équinoxiales, en rendrait la consommation et le commerce beaucoup plus considérables.

Les partisans du système colonial vantent les débouchés que les colonies françaises procurent à la France. Ils ne veulent pas comprendre que quels que fussent les pays qui nous approvisionnent de denrées coloniales[3], il nous est impossible d’en acquitter le prix autrement que par l’exportation des produits du sol, des capitaux et de l’industrie de la France[4]. Ainsi, que nous tirions du sucre de la Martinique, ou bien de la Havane,

  1. Un voyageur recommandable par ses lumières et par sa probité, Poivre, assure que le sucre blanc de première qualité se vend à la Cochinchine, à raison de 3 piastres ou 16 francs de notre monnaie le quintal cochinchinois, qui équivaut à 150 de nos livres, poids de marc, ce qui ne fait presque que 2 sous de France la livre. À ce prix, la Chine en tire plus de 80 millions de livres tous les ans. En ajoutant à ce prix 500 pour cent pour les frais et bénéfices du commerce, ce qui assurément est bien honnête, ce sucre blanc, si le commerce était libre, ne nous reviendrait, en France, qu’a 8 ou 9 sous la livre.

    Déjà les Anglais tirent d’Asie beaucoup de sucre et d’indigo qui leur coûtent beaucoup moins qu’aux Antilles ; et si les états européens formaient des états indépendans et industrieux sur les côtes d’Afrique, la culture des denrées équinioxales s’y répandrait rapidement, et approvisionnerait l’Europe plus abondamment et à des prix plus bas encore.

  2. Suivant un rapport du ministre de la marine, fait en 1820, les deux Antilles qui nous restent coûtaient annuellement, pour leurs dépenses intérieures, 11,860,000, sur quoi les recettes locales fournissaient 5,790,000. Il restait donc une dépense de plus de 6 millions à acquitter par la France.

  3. Elles seraient mieux nommées marchandises ou denrées équinoxiales, parce qu’elles croissent dans la zone torride et dans le voisinage des tropiques.
  4. Voyez plus haut ce qui a été dit au chapitre 17.