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PRÉLIMINAIRE.

tournées en ridicule. Les courtisans du prince, moitié par persuasion, moitié par perversité, l’excitaient à la profusion. C’est là que fut réduite en système cette maxime que le luxe enrichit les états : on mit du savoir et de l’esprit à soutenir ce paradoxe en prose ; on l’habilla en beaux vers ; on crut de bonne foi mériter la reconnaissance de la nation en dissipant ses trésors. L’ignorance des principes conspira avec la dissolution du duc d’Orléans pour ruiner l’état. La France se releva un peu sous la longue paix maintenue par le cardinal de Fleury, ministre faible pour le mal comme pour le bien, et dont l’administration insignifiante prouva du moins qu’à la tête d’un gouvernement, c’est déjà faire beaucoup de bien que de ne pas faire de mal.

Les progrès toujours croissans des différens genres d’industrie, ceux des sciences, dont on verra plus tard l’influence sur les richesses, la pente de l’opinion, décidée enfin à compter pour quelque chose le bonheur des nations, firent entrer l’économie politique dans les spéculations d’un grand nombre d’écrivains. On n’en connut pas encore les vrais principes, mais, puisque, suivant l’observation de Fontenelle, notre condition est telle qu’il ne nous est pas permis d’arriver tout d’un coup à rien de raisonnable, et qu’il faut auparavant que nous passions par diverses sortes d’erreurs et par divers degrés d’impertinences, doit-on regarder comme absolument inutiles les faux pas qui nous ont enseigné une marche plus sûre ?

Montesquieu, qui voulait considérer les lois sous tous leurs rapports, chercha leur influence sur la richesse des états. Il fallait commencer par connaître la nature et les sources de cette richesse, et Montesquieu ne s’en formait aucune idée. Mais on a l’obligation à ce grand écrivain d’avoir porté la philosophie dans la législation ; et, sous ce rapport, il est peut-être le maître des écrivains anglais, qui passent pour être les nôtres ;