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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

demandait aux contribuables un plus grand nombre de livres. Mais ce moyen, toujours odieux, même lorsqu’il ne fait réellement pas payer davantage, était quelquefois impraticable. Alors on revenait à ce qu’on appelait la forte monnaie. La livre contenant un plus grand poids d’argent, les peuples, en payant le même nombre de livres, donnaient en effet plus d’argent[1]. Aussi voyons-nous que les augmentations de métal fin contenu dans les monnaies, datent à peu près de la même époque que l’établissement des impôts permanens. Auparavant, les rois n’avaient pas d’intérêt à accroître la valeur intrinsèque des pièces qu’ils frappaient.

On se tromperait, si l’on supposait que, dans l’exécution, ces nombreuses variations dans la quantité de métal fin contenue dans les monnaies, fussent aussi simples, aussi claires que je les présente ici pour la commodité du lecteur. Quelquefois l’altération n’était pas avouée, et on la cachait le plus long-temps qu’on pouvait ; de là le jargon barbare adopté dans ce genre de manufacture[2]. D’autres fois on altérait une espèce de monnaie et l’on ne changeait rien aux autres ; à la même époque, la livre représentée par certaines pièces de monnaie contenait plus d’argent fin que la livre représente par d’autres pièces. Enfin presque toujours, pour rendre la matière plus obscure, on obligeait les particuliers à compter tantôt par livres et par sous, tantôt par écus, et à payer en pièces qui n’étaient ni des livres, ni des sous, ni des écus, mais seulement des fractions ou des multiples de ces monnaies de compte. Il est impossible de voir dans tous les princes qui ont eu recours à ces misérables ressources, autre chose que des faussaires armés de la puissance publique.

On comprend le tort qui devait en résulter pour la bonne foi, pour l’industrie, pour toutes les sources de la prospérité ; il a été tel, qu’à plu-

  1. C’est ce qu’avait déjà fait à Rome l’empereur Héliogabale, noté dans l’histoire pour ses épouvantables profusions. Les citoyens romains devant payer, non un certain poids en or, mais un certain nombre de pièces d’or (aurei), l’empereur, pour recevoir davantage, en fit fabriquer qui pesaient jusqu’à 2 livres (24 onces). Le vertueux Alexandre-Sévère, animé par des motifs opposés, les réduisit de beaucoup.
  2. Philippe de Valois, dans le mandement qu’il adressa aux officiers des monnaies, en 1550, leur ordonne le secret sur l’affaiblissement des monnaies, et le leur fait jurer sur l’Évangile, afin que les marchands y soient trompés. « Faites savoir aux marchands, dit-il, le cours du marc d’or de la bonne manière, en sorte qu’ils ne s’aperçoivent qu’il y a mutation de pied. » On voit, sous le roi Jean, plusieurs exemples semblables. (Le Blanc, Traité historique des Monnaies, p. 251.)