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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XXV.

sieurs époques de notre histoire, les opérations monétaires ont mis complètement en fuite toute espèce de commerce. Philippe Le Bel fit déserter nos foires par tous les marchands étrangers en les forçant à recevoir en paiement sa monnaie décriée, et en leur défendant de contracter en une monnaie qui leur inspirait plus de confiance[1]. Philippe De Valois fit de même à l’égard des monnaies d’or. Pareil effet s’ensuivit. Un historien de son temps[2] dit que presque tous les marchands étrangers cessèrent de venir trafiquer dans le royaume ; que les Français mêmes, ruinés par ces fréquens changemens dans les monnaies et l’incertitude de leurs valeurs, se retirèrent en d’autres pays ; et que les autres sujets du roi, nobles et bourgeois, ne se trouvèrent pas moins appauvris que les marchands ; ce qui fesait, ajoute l’historien, que le roi n’était pas du tout aimé.

J’ai puisé mes exemples dans les monnaies françaises ; les mêmes altérations ont eu lieu chez presque tous les peuples anciens et modernes. Les gouvernemens populaires n’ont pas agi mieux que les autres. Les romains, dans les plus belles époques de leur liberté, firent banqueroute en changeant la valeur intrinsèque de leurs monnaies. Dans la première guerre punique, l’as, qui devait être de douze onces de cuivre, n’en pesa plus que deux ; et dans la seconde, il ne fut plus que d’une[3].

La Pensylvanie, qui, bien que ce fût avant la révolution d’Amérique, agissait en cela comme état indépendant, ordonna en 1722 qu’une livre sterling passerait pour 1 livre 5 sous sterling[4] ; et les États-Unis, la France même, après s’être déclarés républiques, ont depuis fait pis encore. « Si l’on voulait, dit Steuart, entrer dans le détail de tous les artifices inventés pour brouiller les idées des nations relativement aux monnaies, dans le but de déguiser ou de faire paraître utiles, justes ou raisonnables, les altérations qu’en ont faites presque tous les princes, on en composerait un gros livre[5]. » Steuart aurait pu ajouter que ce gros livre aurait peu d’utilité, et n’empêcherait pas qu’un artifice nouveau ne pût être pratiqué dès le lendemain. Ce qu’il faut éclaircir, c’est la fange au sein de laquelle germent ces abus ; car si l’on parvient à la trans-

  1. Le Blanc, Traité historique des Monnaies, page 27.
  2. Mathieu Villani.
  3. Montesquieu, Esprit des Lois, liv. XXII, ch. 11.
  4. Smith, Richesse des Nations, liv. II, ch. 2.
  5. Steuart, tome I, page 555