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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XXVI.

Le gouvernement, en autorisant les débiteurs à s’acquitter avec du papier, en recevant lui-même ce papier de la main de ses débiteurs et de ses contribuables, lui confère déjà une certaine valeur en lui assignant des usages qui dépendent de l’autorité publique, soit qu’elle fasse ou non un usage légitime de la force ; mais ce n’est pas tout. Le nombre des unités monétaires devient nécessairement plus considérable ; car en jetant dans la circulation un papier non remboursable, cumulativement avec les espèces qui s’y trouvaient déjà, la masse des monnaies, de cette marchandise, papier ou métal, propre à servir d’intermédiaire dans les échanges, est augmentée, et, par une loi constante que j’ai essayé d’expliquer au chapitre 23, la valeur de chaque unité décline dans la même proportion, jusqu’à ce que les pièces de monnaie métallique tombent à un taux inférieur à celui de la même quantité de métal en lingots ; de là la fusion ou l’exportation des monnaies métalliques[1]. Le papier-monnaie seul reste ; et comme dans une société avancée en civilisation, où la production est en pleine activité et la consommation considérable, un pareil

  1. La différence qui s’établit entre la valeur du papier-monnaie dans l’intérieur où il a des usages, et sa valeur au-dehors où il n’est bon à rien, est le fondement des spéculations qui se sont faites, et des fortunes qui ont été acquises à toutes les époques où il y a eu un papier-monnaie.

    En 1811, avec cent guinées en or, on pouvait acheter à Paris une lettre de change sur Londres, de 140 liv. sterling, c’est-à-dire qu’on y pouvait acheter pour 140 liv. sterling de papier-monnaie anglais, puisque les lettres de change étaient acquittées en papier-monnaie (bank notes). Or, ces mêmes cent guinées, ou un lingot équivalent, n’avaient coûté, à Londres, que 120 liv. st. en papier-monnaie. C’est ainsi qu’il faut entendre cette expression, que le papier-monnaie anglais avait plus de valeur en Angleterre qu’à l’étranger.

    Aussi, d’après des relevés qui ont été faits à Dunkerque, pendant les années 1810, 1811, 1812 et 1815, il est entré en fraude, par les seuls ports de Dunkerque et Gravelines, des guinées, ou lingots d’or, pour une somme de 182,124,444 francs.

    La même spéculation se fesait avec toutes sortes de marchandises, mais moins facilement qu’avec l’or, parce que si la sortie de l’Angleterre en était favorisée, l’introduction en fraude sur le continent en était fort difficile.

    Quoi qu’il en soit, la demande que cela occasionnait sur le continent des lettres de change sur Londres, en aurait bien vite fait remonter la valeur au pair de ce qu’elles valaient en Angleterre, si les agens chargés de payer les subsides anglais à leurs alliés sur le continent, n’avaient pas eu constamment des traites à fournir sur Londres.