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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

instrument est d’un usage indispensable, le besoin qu’on a de celui-ci fait qu’on le reçoit à défaut d’un autre.

Remarquons que ce n’est pas la confiance qu’on a dans le remboursement d’un papier-monnaie qui fait qu’on l’accepte en paiement ; car on sait qu’il n’existe aucun bureau ouvert pour le rembourser. Sa valeur (car il en a, puisque l’on consent à donner des valeurs très-réelles en échange d’un papier-monnaie) lui vient uniquement de la possibilité que chacun croit avoir, de le donner en paiement dans les achats qu’on se propose de faire. Or, cette valeur qui lui est propre, qui naît de l’office qu’il remplit en fait une véritable monnaie, et non le signe représentatif d’une monnaie qu’il est incapable de procurer. Les personnes qui ont des achats à faire n’ont pas de meilleure monnaie à offrir ; les personnes qui ont besoin de vendre en demanderaient en vain une autre. Leurs besoins réciproques suffisent pour faire circuler celle-là, pourvu que chacun puisse se flatter de la placer à peu près au même taux auquel il l’a prise : à cet effet on la garde peu ; on fait volontiers des achats, soit pour satisfaire aux besoins des familles, soit pour travailler à une nouvelle production. Aussi a-t-on pu observer, à l’origine de tous les papiers-monnaies, une certaine activité dans la circulation très-favorable aux développemens de l’industrie. Les commencemens du système de Law, sous la régence, furent brillans ; on en put dire autant des premiers temps des assignats dans la révolution française ; et l’agriculture, les manufactures et le commerce de la Grande-Bretagne, prirent un grand essor dans les années qui suivirent la suspension des paiemens en espèces de la banque d’Angleterre[1].

Le vice de la monnaie de papier n’est pas dans la matière dont elle est

  1. Un habile économiste anglais, M. Th. Tooke, a fait la même remarque dans son ouvrage intitulé : On the state of the Currency, page 23. Voici sommairement l’explication qu’il en donne. Quand on augmente par des billets de confiance ou un papier quelconque la masse des monnaies, c’est ordinairement en fesant des avances au gouvernement ou aux particuliers ; ce qui augmente la somme des capitaux en circulation, fait baisser le taux de l’intérêt, et rend la production moins dispendieuse. Il est vrai que l’augmentation de la masse des monnaies en fait décliner la valeur, et que lorsque ce déclin se manifeste par le prix élevé où montent les marchandises et les services productifs, des capitaux plus considérables nominalement, ne le sont bientôt plus en réalité ; mais ce dernier effet est postérieur à l’autre : les intérêts ont baissé avant que le prix des marchandises ait haussé, et que les emprunteurs aient fait leurs achats. D’où il suit qu’une monnaie dont la masse s’accroît et dont la valeur diminue graduellement, est favorable à l’industrie.