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LIVRE PREMIER. — CHAPITRE XXVIII.

valeur actuelle. Raynal en donne donc une bien fausse idée quand il ne les évalue que 36 de nos millions. Son erreur vient, je le répète, de ce qu’il s’est borné à chercher ce que cette somme contenait de métal d’argent, pour réduire cet argent en monnaie actuelle, sans faire attention que la valeur de l’argent a fort déchu depuis cette époque.

Sully, dans ses Mémoires, rapporte qu’il avait amassé dans les caves de la bastille jusqu’à 36 millions de livres tournois, pour servi à l’accomplissement des grands desseins d’Henri IV contre la maison d’Autriche. Comme il y eut une très-forte dégradation dans la valeur de l’or et de l’argent, précisément pendant la durée de ce règne, ces métaux perdaient graduellement de leur prix tandis que l’économe surintendant les entassait à la bastille. Quoi qu’il en soit, nous pouvons connaître la valeur qu’avait encore ce trésor, l’année de la mort de ce prince. En 1610, le setier de Paris, qui vaut actuellement 28 francs 50 centimes, se vendait 8 livres 1 sou 9 deniers, et c’est dans cette dernière monnaie que sont évalués les 36 millions dont parle Sully. Or, 36 millions, en comptant 8 livres 1 sou 9 deniers pour 28 francs 50 centimes, vaudraient aujourd’hui plus de 126 millions ; somme qui offrait une ressource importante, surtout si l’on considère que la guerre se fesait alors bien différemment que de nos jours. Avec cinquante mille hommes et des munitions de guerre et de bouche proportionnées, Henri IV aurait exécuté ce qu’on n’accomplirait pas aujourd’hui avec trois cent mille hommes et un milliard. Sully eut le chagrin de voir de son vivant ces puissantes économies dissipées par de vils courtisans.

On peut être curieux de comparer la dette publique de Louis XIV, dans les désastres qui signalèrent la fin de son règne, avec nos dettes publiques actuelles. Le contrôleur général Desmarets remit au duc d’Orléans, régent, un mémoire où l’on trouve un état de la dette mobile en 1708[1]. Elle se montait alors, en principal, à 685 millions. Il ne donne pas le montant des rentes sur l’hôtel-de-ville ; mais on voit un peu plus loin qu’on y consacrait la totalité du produit des fermes générales, qui rapportèrent 31 millions en 1709, et que ce produit ne permit pas de payer au-delà de six mois dans une année. On peut donc supposer que la dette constituée s’élevait à 62 millions de rentes au principal de 1,240 millions[2].

  1. Voyez les Annales politiques de l’abbé de Saint-Pierre, année 1716.
  2. Le roi n’avait certainement pas reçu ce principal de la main des préteurs, car l’état du crédit à cette époque ne permettait pas d’emprunter à 5 pour cent : on était obligé d’emprunter au denier douze, c’est-à-dire qu’on recevait en principal, douze fois seulement la rente qu’on prenait l’engagement de payer. Le public ne restait pas moins grevé d’une rente perpétuelle qui équivalait à un principal au denier vingt.