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LIVRE SECOND. — CHAPITRE III.

car s’ils coûtaient moins, en achetant le blé avec de l’argent, on l’aurait à moins de frais que le cultivateur n’en fait pour le produire. Le cultivateur perdrait à ce marché ; il ne continuerait pas un métier où il donnerait plus pour recevoir moins.

C’est pour cette raison qu’à mesure que le métal d’argent est devenu plus abondant et que les frais de sa production ont diminué, il en a fallu donner une plus grande quantité pour obtenir une même quantité de blé.

Et si, comme on a lieu de le croire, le blé a toujours coûté à peu près les mêmes frais de production, la quantité d’argent plus grande qu’il a fallu, à différentes époques, donner pour obtenir une même quantité de blé, est pour nous une indication de la dépréciation de l’argent, de ce qu’il a perdu en valeur réelle.

La dépréciation de l’argent et de l’or depuis l’antiquité jusqu’à nous, jouant un fort grand rôle dans l’économie des nations, cherchons à nous en former quelque idée d’après la quantité qu’ils ont pu acheter à chaque époque, d’une denrée dont il est probable que la valeur réelle a moins varié que la plupart des autres. J’ai déjà, d’après cette méthode, cherché à donner des idées plus exactes de la valeur de quelques sommes historiques. Elle nous servira en ce moment à évaluer la perte de valeur que les métaux précieux ont subie jusqu’à nos jours.

La mesure grecque appelée médimne, est, suivant les antiquaires, égale à 52 litres ; et l’on voit, dans un plaidoyer de Démosthènes, que j’ai déjà cité (Livre I, ch.28), que le prix ordinaire du blé était de 5 drachmes par médimne. Or 5 drachmes, suivant les médailles athéniennes que l’on possède encore, contenaient 157 1/2 grains d’argent pur. Par conséquent 52 de nos litres coûtaient 157 1/2 grains d’argent, et notre hectolitre qui contient cent litres, en coûtait 303.

À Rome, au temps de César, la mesure de blé appelée modius valait communément trois sesterces, et trois sesterces, selon les antiquaires, contenaient 23 5/8 grains d’argent fin[1]. Le blé contenu dans un modius pesait 14 de nos livres et 16 onces ; 14 livres, poids de marc, s’échangeaient donc communément à Rome contre 23 5/8 grains d’argent ; et par conséquent notre hectolitre de froment, qui pèse 160 livres, se payait en argent 270 grains, environ un septième de moins qu’à Athènes, ce

  1. On en trouvera la preuve dans les ouvrages spécialement consacrés à ce genre d’érudition, notamment dans Garnier, Histoire des Monnaies, tom. II, p. 333 et 341.