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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

sont plus en Angleterre qu’en Écosse, plus dans le voisinage des grandes villes que dans les villages éloignés. Quelques ouvriers, à la vérité, quand ils gagnent en quatre jours de quoi vivre pendant toute la semaine, restent oisifs les trois autres jours ; mais cette inconduite n’est point générale ; il est plus commun de voir ceux qui sont bien payés, à la pièce, ruiner leur santé en peu d’années par un excès de travail[1]. »

§ V. — De l’Indépendance née chez les modernes des progrès de l’Industrie.

L’économie politique a été la même dans tous les temps. Même aux époques où les principes en étaient méconnus, ils agissaient de la manière exposée dans cet ouvrage ; des causes pareilles étaient toujours suivies de résultats semblables : Tyr s’enrichissait par les mêmes moyens qu’Amsterdam. Mais ce qui a beaucoup changé à la suite des développemens de l’industrie, c’est l’état des sociétés.

Les peuples anciens n’étaient pas, dans l’industrie agricole, inférieurs aux modernes à beaucoup près autant que dans les autres arts industriels. Or, comme les produits de l’agriculture sont les plus favorables à la multiplication de l’espèce humaine, il y avait chez eux beaucoup plus d’hommes inoccupés que chez nous. Ceux qui n’avaient que peu ou point de terres, ne pouvant vivre de l’industrie et des capitaux qui leur manquaient, et trop fiers pour exercer auprès de leurs concitoyens des emplois serviles qu’on abandonnait aux esclaves, vivaient d’emprunts qu’ils étaient toujours hors d’état d’acquitter, et réclamaient des partages de biens dont l’exécution n’était pas praticable. Il fallait, pour les satisfaire, que les hommes les plus considérables de chaque nation les conduisissent à la guerre, et, de retour dans la cité, les entretinssent au moyen des dépouilles conquises sur l’ennemi, ou à leurs propres dépens. De là les troubles civils qui agitaient les nations de l’antiquité ; de là leurs guerres perpétuelles ; de là le trafic des votes ; de là ces nombreuses clientelles d’un Marius et d’un Sylla, d’un Pompée et d’un César, d’un Antoine et d’un Octave ; jusqu’à ce qu’enfin le peuple romain tout entier ait formé la cour d’un Caligula, d’un Héliogabale et de beaucoup d’autres monstres qui étaient obligés de le nourrir en l’opprimant.

Le sort des villes industrieuses, de Tyr, de Corinthe, de Carthage, n’était pas tout-à-fait le même ; mais elles devaient succomber devant des guerriers moins riches qu’elles, plus aguerris, et qui obéissaient à l’im-

  1. Richesse des Nations, liv. I, ch. 8.