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DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

suite, le profit soit devenu le profit d’un particulier à l’exclusion d’un autre. L’eau des rivières et de la mer, par la faculté qu’elle a de mettre en mouvement nos machines, de porter nos bateaux, de nourrir des poissons, a bien aussi un pouvoir productif ; le vent qui fait aller nos moulins, et jusqu’à la chaleur du soleil, travaillent pour nous ; mais heureusement personne n’a pu dire : le vent et le soleil m’appartiennent, et le service qu’ils rendent doit m’être payé. Je ne prétends pas insinuer par là que la terre ne dût pas avoir de propriétaire, plus que le soleil et le vent. Il y a entre ces choses une différence essentielle : l’action des dernières est inépuisable ; le service qu’en tire une personne n’empêche pas qu’une autre personne n’en tire un service égal. La mer et le vent, qui transportent mon navire, transportent aussi ceux de mes voisins. Il n’en est pas de même de la terre. Les avances et les travaux que j’y consacre sont perdus si d’autres que moi ont droit de se servir du même terrain. Pour que j’ose risquer des avances, il faut que je sois assuré de jouir des résultats. Et ce qui peut surprendre au premier énoncé, sans en être moins vrai au fond, c’est que le non-propriétaire n’est pas moins intéressé que le propriétaire à l’appropriation du sol. C’est grâce à l’appropriation que le sol est cultivé et que l’on obtient ses produits avec une sorte d’abondance. C’est grâce à l’appropriation du sol et des capitaux, que l’homme qui n’a que ses bras trouve de l’occupation et se fait un revenu. Les sauvages de la Nouvelle-Zélande et de la côte nord-ouest d’Amérique, où la terre est commune à tous, s’arrachent à grande peine le poisson ou le gibier qu’ils peuvent atteindre ; ils sont souvent réduits à se nourrir des plus vils insectes, de vers, d’araignées[1] ; enfin ils se font perpétuellement la guerre par besoin, et se mangent les uns les autres à défaut d’autres alimens ; tandis que le plus mince de nos ouvriers, s’il est valide, s’il est laborieux, a un abri, un vêtement, et peut gagner, tout au moins, sa subsistance.

Le service que rendent les terres est acheté par l’entrepreneur, de même que tous les autres services productifs, et cette avance lui est remboursée par le prix qu’il tire de ses produits. Quand c’est le propriétaire même du terrain qui le fait valoir, il ne paie pas moins l’usage qu’il en fait. S’il ne le cultivait pas lui-même, ne pourrait-il pas louer le terrain ? En le fesant valoir, il fait donc le sacrifice du loyer, et ce sacrifice est une

  1. Malthus, dans son Essai sur la population (liv. 1, ch.4 et 5), et Péron, dans le Voyage du capitaine Baudin, présentent le tableau des diverses extrémités où sont réduits les peuples sauvages par le défaut de subsistances assurées.