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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

regarder comme une satisfaction différée : c’est la consommation reproductive[1].

On peut remarquer ici que la consommation improductive, celle qui n’a d’autre résultat que de procurer une jouissance, n’exige aucune habileté. Sans talent, sans peine, sans travail, on peut manger de bons morceaux, ou se parer d’un bel habit[2] ; tandis que dans la consommation reproductive, non seulement il ne résulte aucune jouissance immédiate de cette consommation, mais elle exige l’emploi d’un travail éclairé qui, dans tout le cours de cet ouvrage, a été nommé industrie.

Quand celui qui possède la valeur à consommer est dépourvu d’industrie, s’il ne sait comment s’y prendre pour consommer reproductivement cette valeur, et si pourtant il veut qu’elle soit consommée ainsi, il la prête à une personne plus industrieuse : celle-ci la détruit ; mais comme elle en reproduit une autre en même temps, elle est en état de la rendre, même après avoir retenu les profits de son travail et de ses talens. Un capital qu’on rend, après l’avoir emprunté, n’est pas, comme on voit, composé des mêmes matières qu’on a reçues. La condition imposée par le prêteur équivaut à ceci : je vous prête des valeurs qui sont égales à la valeur actuelle de deux mille pièces de cinq francs, ou de dix mille francs : vous

  1. Le mécanisme de la consommation est assez bien représenté par la combustion qui s’opère dans nos cheminées et dans nos fourneaux. Le bois qui brûle sert, en brûlant, soit à nous chauffer, soit à préparer des alimens, des teintures, et à leur donner de la valeur. Sa combustion n’a rien d’utile et de bon en soi, autrement il serait avantageux de brûler du bois qui ne chaufferait personne, qui n’opérerait aucune cuisson ; sa combustion n’est utile qu’autant qu’elle satisfait au besoin que quelqu’un a de se chauffer (c’est l’image de la consommation improductive), ou bien autant qu’elle donne aux substances qu’elle cuit, une valeur qui puisse remplacer la valeur du combustible brûlé (c’est l’image de la consommation reproductive). Un combustible qu’on brûle pour chauffer, et qui ne chauffe pas, ou qui chauffe mal, ou bien qu’on brûle pour donner une valeur nouvelle à une denrée, et qui ne la donne pas, ou qui donne une valeur inférieure à la valeur consumée, présente l’image d’un échange dans lequel on a donné un objet pour ne rien recevoir en retour. Tel est l’effet de toutes les consommations qui ont eu lieu en pure perte.
  2. Je sais qu’un homme a besoin d’une sorte d’habileté pour se faire honneur d’une grande fortune, pour dépenser en faveur de lui-même sans blesser l’amour-propre des autres, pour obliger sans humilier, pour travailler au bien public sans alarmer les intérêts particuliers ; mais ces talens tiennent à une qualité morale, à l’esprit de conduite, dont les résultats, purement moraux, ne peuvent être déduits que d’une autre science, la morale expérimentale.