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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE II.

me rendrez à telle époque une somme de valeurs égales à la valeur qu’auront alors dix mille francs. Un dépôt qu’on serait obligé de rendre en nature, ne devant pas être consommé, ne pourrait servir à la reproduction.

Quelquefois on consomme les produits qu’on a soi-même créés ; ainsi font le cultivateur qui mange de ses fruits ou des animaux de sa basse-cour, le manufacturier qui se revêt de ses étoffes ; mais comme les objets de notre consommation sont bien nombreux et bien variés en comparaison de ceux que nous produisons, la plupart des consommations n’ont lieu qu’à la suite d’un achat. Après que nous avons échangé contre de l’argent, ou reçu sous forme de monnaie, les valeurs qui composent notre revenu, nous échangeons de nouveau ces valeurs contre les objets que nous nous proposons de consommer. C’est ce qui fait que, pour le vulgaire, dépenser et consommer signifient la même chose. Ce n’est pourtant pas en achetant qu’on perd la valeur qu’on possède ; car après avoir acheté une chose, elle a encore sa valeur, et l’on peut, si elle n’a pas été surpayée, la revendre comme on l’a achetée ; mais c’est en la consommant que la perte s’opère, puisqu’une valeur détruite n’existe plus, et ne peut plus ni se vendre, ni se consommer une seconde fois. C’est la raison pour laquelle, dans l’économie domestique, une mauvaise ménagère détruit bien vite les fortunes bornées. C’est la femme, et non le mari, qui décide ordinairement des consommations de tous les jours, de celles qui se répètent sous une multitude de formes. On voit d’ici la grande erreur où tombent ceux qui croient que ce qui n’entraîne point de perte de numéraire, n’entraîne point de perte de richesses. Rien n’est plus commun que d’entendre dire : l’argent qui se dépense n’est pas perdu : il reste dans le pays ; donc le pays n’est pas plus pauvre par les dépenses qu’on y fait. Le pays, en effet, n’a rien perdu de la valeur de l’argent qui s’y trouvait ; mais la chose achetée avec une somme d’argent ; cent choses achetées successivement avec la même somme, ont été consommées, et leur valeur détruite.

Il est donc bien superflu, j’ai presque dit puéril, de vouloir, pour conserver les richesses d’un pays, retenir son numéraire. Ce numéraire n’empêche aucune consommation de valeurs, ni par conséquent aucune perte de richesse. Il sert au contraire à faire cheminer plus commodément, jusqu’aux mains de leurs consommateurs, les produits voués à la consommation ; ce qui est un bien, quand c’est pour faciliter une consommation bien entendue, c’est-à-dire, dont les résultats sont bons.