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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

pour lui reprocher ses excès. C’est ce qu’on observait à Versailles, à Rome, à Madrid, dans toutes les cours ; c’est ce dont la France a offert en dernier lieu un triste exemple, à la suite d’une administration dissipatrice et fastueuse, comme s’il avait fallu que des principes aussi incontestables dussent recevoir cette terrible confirmation[1].

Les gens qui ne sont pas habitués à voir les réalités au travers des apparences, sont quelquefois séduits par l’attirail et le fracas d’un luxe brillant. Ils croient à la prospérité dès l’instant où ils voient de la dépense. Qu’ils ne s’y trompent pas : un pays qui décline offre pendant quelque temps l’image de l’opulence ; ainsi fait la maison d’un dissipateur qui se ruine. Mais cet éclat factice n’est pas durable ; et comme il tarit les sources de la reproduction, il est infailliblement suivi d’un état de gêne, de marasme politique, dont on ne se guérit que par degrés et par des moyens contraires à ceux qui ont amené le depérissement.

Il est fâcheux que les mœurs, que les habitudes funestes du pays au-

  1. D’autres considérations encore concourent à expliquer l’atmosphère de misère qui environne les cours. C’est là que s’opère en grand la plus rapide des consommations, celle des services personnels, lesquels sont, consommés aussitôt que produits. Sous cette dénomination, il faut comprendre le service des militaires, des domestiques, des fonctionnaires utiles ou inutiles, des commis, des gens de loi, des ecclésiastiques, gens de robe, acteurs, musiciens, bouffons de société, et de tout ce qui entoure le centre d’un grand pouvoir administratif ou judiciaire, militaire ou religieux. Les produits matériels eux-mêmes y semblent plus voués qu’ailleurs à la destruction. Les mets fins, les étoffes magnifiques, les ouvrages de mode, viennent à l’envi s’y engloutir ; rien, ou presque rien, n’en sort.

    Encore, si les valeurs considérables qui, nées sur toute la surface industrieuse d’un vaste territoire, vont se consommer dans les cours, s’y répartissaient avec une sorte d’équité, elles pourraient suffire à l’aisance de tout ce qui les environne. De tels gouffres seraient toujours funestes, puisqu’ils absorbent les valeurs et n’en donnent point en retour ; néanmoins, dans le lieu même de la résidence, tout le monde pourrait être assez bien pourvu. Mais on sait que c’est là, moins que partout ailleurs, que les richesses se distribuent avec équité. Un prince, ou bien un favori, ou une maîtresse, ou un grand déprédateur, en retirent la principale part ; les fainéans subalternes n’en reçoivent que ce que la générosité ou le caprice des grands daigne leur abandonner.

    S’il y a eu des seigneurs qui ont entretenu l’abondance en résidant sur leurs terres, c’est en y fesant des dépenses productives plutôt que des dépenses fastueuses ; alors ils étaient de véritables entrepreneurs de culture, et accumulaient des capitaux en améliorations.