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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE VII.

lois ayant le principal pouvoir, et peu de chose étant laissé à l’arbitraire de l’homme, il n’y trouve pas autant de moyens de satisfaire ses fantaisies et ce malheureux amour de la domination que tout homme porte dans son cœur. Cependant la latitude que les lois ne peuvent manquer de laisser aux volontés de ceux qui les exécutent, surtout dans l’ordre administratif, et les honneurs qui accompagnent ordinairement les emplois éminens, ont une valeur véritable qui les fait rechercher avec ardeur, même dans les pays où ils ne sont pas lucratifs.

Les règles d’une stricte économie conseilleraient peut-être d’économiser le salaire en argent dans les cas où les honneurs suffisent pour exciter l’empressement de ceux qui prétendent aux charges ; ce qui les ferait tomber entre les mains des gens riches exclusivement. Alors, indépendamment de l’inconvénient qui peut se rencontrer lorsque l’on confère à la richesse un pouvoir politique, on risquerait de perdre, par l’incapacité du fonctionnaire, plus qu’on n’épargnerait en économisant son traitement. Ce serait, dit Platon dans sa République, comme si, sur un navire, on fesait quelqu’un pilote pour son argent. Il est à craindre d’ailleurs qu’un homme, quelque riche qu’il soit, qui donne gratuitement ses travaux, ne vende son pouvoir. L’expérience a malheureusement prouvé que dans les pays où les fonctions de représentans de la nation sont gratuites, les intérêts généraux sont sacrifiés aux intérêts privilégiés. Une fortune considérable ne suffit pas pour préserver un fonctionnaire de la vénalité ; car les grands besoins marchent d’ordinaire avec une grande fortune, et fréquemment la devancent. Enfin, en supposant qu’on puisse rencontrer, ce qui n’est pas rigoureusement impossible, avec une grande fortune, l’intégrité, et avec l’intégrité l’amour du travail, nécessaires pour bien s’acquitter de ses devoirs, pourquoi ajouter à l’ascendant déjà trop grand des richesses, celui que donne l’autorité ? Quels comptes osera-t-on demander à l’homme qui peut se donner, soit avec le gouvernement, soit avec le peuple, l’air de la générosité ? Ce n’est pas que dans quelques occasions, comme dans l’administration des hôpitaux et des prisons, on ne puisse, avec avantage et sans danger, employer les services gratuits des gens riches pourvu qu’ils aient le jugement et l’activité, qualités sans lesquelles tout souffre et dépérit.

Sous l’ancien régime, en France, le gouvernement, pressé par le besoin d’argent, vendait les places ; cet expédient entraîne les inconvéniens des fonctions qu’on exerce gratuitement, puisque les émolumens de la place ne sont plus que l’intérêt du capital payé par le titulaire, et il coûte à l’é-