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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

tat comme si la fonction n’était pas gratuite, puisqu’il laisse l’état grevé d’une rente dont il a mangé le fonds.

On a souvent confié des fonctions civiles, telles que l’expédition des actes de naissance, de mariage et de décès, à des prêtres qui, payés pour d’autres fonctions, pouvaient exercer gratuitement celle-là. D’abord elle n’est pas gratuite si le prêtre reçoit un droit casuel sous une forme quelconque ; n’y a-t-il pas ensuite quelque imprudence à l’autorité civile, à confier une partie de ses fonctions à des hommes qui se disent ministres d’une autorité supérieure à la sienne, et qui reçoivent quelquefois les ordres d’un prince étranger[1] ?

Malgré toutes les précautions qu’on peut prendre, le public ni le prince ne peuvent jamais être ni si bien servis, ni à si bon marché que les particuliers. Les agens de l’administration ne sauraient être surveillés par leurs supérieurs avec le même soin que les agens des particuliers, et les supérieurs eux-mêmes ne sont pas si directement intéressés à leur bonne conduite. Il est facile d’ailleurs aux inférieurs d’en imposer à un chef qui, obligé d’étendre au loin son inspection, ne peut donner à chaque objet qu’une fort petite dose d’attention ; à un chef souvent bien plus sensible aux prévenances qui flattent sa vanité, qu’aux soins dont le public seul profite ! Quant au prince et au peuple, qui sont les plus intéressés à la bonne administration, puisqu’elle affermit le pouvoir de l’un et le bonheur de l’autre, une surveillance efficace et soutenue leur est presque impossible à exercer. Il faut nécessairement qu’ils s’en rapportent à leurs agens dans le plus grand nombre des cas, et qu’ils soient trompés quand on est intéressé à les tromper ; ce qui arrive fréquemment.

« Les services publics ne sont jamais mieux exécutés, dit Smith, que lorsque la récompense est une conséquence de l’exécution, et se proportionne à la manière dont le service a été exécuté. » Il voudrait que les salaires des juges fussent payés à l’issue de chaque procès, et proportionnellement aux peines que la procédure aurait occasionnées aux différens magistrats. Les juges alors s’occuperaient de leur affaire, et les procès ne traîneraient pas en longueur. Il serait difficile d’étendre ce procédé à la plupart des actes de l’administration, et il ouvrirait peut-être la porte à d’autres abus non moins nuisibles ; mais il aurait un grand avantage,

  1. À plusieurs époques du siècle dernier, malgré le gouvernement, les prêtres molinistes refusèrent les fonctions de leur ministère aux jansénistes, sous prétexte qu’il valait mieux obéir à Dieu, qui s’exprimait par l’organe du pape, qu’au roi.