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Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/491

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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE VII.

jamais à eux ; n’étant dans aucun cas appelés à faire usage de leurs facultés intellectuelles, elles s’énervent, s’abrutissent, et ils deviendraient bientôt eux-mêmes non-seulement incapables de dire deux mots qui eussent le sens commun sur toute autre chose que leur outil, mais encore de concevoir ni même de comprendre aucun dessein généreux, aucun sentiment noble. Les idées élevées tiennent à la vue de l’ensemble ; elles ne germent point dans un esprit incapable de saisir des rapports généraux : un ouvrier stupide ne comprendra jamais comment le respect de la propriété est favorable à la prospérité publique, ni pourquoi lui-même est plus intéressé à cette prospérité que l’homme riche ; il regardera tous les grands biens comme une usurpation. Un certain degré d’instruction, un peu de lecture, quelques conversations avec d’autres personnes de son état, quelques réflexions pendant son travail, suffiraient pour l’élever à cet ordre d’idées, et mettraient même plus de délicatesse dans ses relations de père, d’époux, de frère, de citoyen.

Mais la position du simple manouvrier dans la machine productive de la société, réduit ses profits presqu’au niveau de ce qu’exige sa subsistance. À peine peut-il élever ses enfans, et leur apprendre un métier ; comment leur donnerait-il ce degré d’instruction que nous supposons nécessaire au bien-être de l’ordre social ? Si la société veut jouir de l’avantage attaché à ce degré d’instruction dans cette classe, elle doit donc le donner à ses frais.

On atteint ce but par des écoles où l’on enseigne gratuitement à lire, à écrire et à compter. Ces connaissances sont le fondement de toutes les autres, et suffisent pour civiliser le manouvrier le plus simple. À vrai dire, une nation n’est pas civilisée, et ne joui pas par conséquent des avantages attachés à la civilisation, quand tout le monde n’y sait pas lire, écrire et compter. Sans cela elle n’est pas encore complétement tirée de l’état de barbarie. J’ajouterai qu’avec ces connaissances, nulle grande disposition, nul talent extraordinaire, et dont le développement serait hautement profitable à une nation, ne peut rester enfoui. La seule faculté de lire, met, à peu de frais, le moindre citoyen en rapport avec ce que le monde a produit de plus éminent dans le genre vers lequel il se sent appelé par son génie. Les femmes ne doivent pas demeurer étrangères à cette instruction élémentaire, parce qu’on n’est pas moins intéressé à leur civilisation, et qu’elles sont les premières, et trop souvent les seules institutrices de leurs enfans.

Les gouvernemens seraient d’autant plus inexcusables de négliger