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DE LA CONSOMMATION DES RICHESSES.

l’instruction élémentaire et de laisser croupir, dans un état voisin de la barbarie, la majeure partie de nos nations soi-disant civilisées de l’Europe, qu’ils peuvent, au moyen d’un procédé maintenant éprouvé, celui de l’enseignement mutuel, répandre cette instruction parmi la presque totalité de la classe indigente[1].

Ce sont donc les connaissances élémentaires et les connaissances relevées qui, moins favorisées que les autres par la nature des choses, et par la concurrence des besoins, doivent avoir recours à l’appui de l’autorité publique lorsqu’elle veut servir les intérêts du corps social. Ce n’est pas que les particuliers ne soient intéressés au maintien et aux progrès de ces connaissances comme des autres ; mais ils n’y sont pas aussi directement intéressés ; le déclin qu’elles éprouvent ne les expose pas à une perte immédiate ; et un grand empire pourrait rétrograder jusqu’aux confins de la barbarie et du dénuement, avant que les particuliers se fussent aperçus de la cause qui les y pousse.

Je ne prétends pas, au reste, blâmer les établissemens d’instruction qui, payés par le public, embrassent des parties d’enseignement autres que

  1. L’enseignement mutuel, d’abord mis en pratique par Lancastre et perfectionné par d’autres, est économique, 1o en ce qu’au lieu d’appliquer immédiatement à chaque élève le ministère du maître, qui est nécessairement dispendieux et insuffisant pour cette tâche, il emploie le léger excédant de savoir qu’un élève a sur un autre, au profit du moins instruit ; 2o parce qu’il répand simultanément l’instruction dans toutes les petites sections dont l’école est composée. Il en résulte une plus grande masse d’instruction répandue, en moins de temps, avec les mêmes frais.

    Dans les écoles simultanées, le maître ne peut surveiller qu’un petit nombre d’écoliers, et il est même difficile qu’aucun d’entre eux n’échappe à sa surveillance ; on ne parvient à y fixer l’attention des élèves que par des menaces et des punitions qui dégradent leur âme ; le talent qui leur attire le plus d’avantages, est celui de plaire à leur pédagogue ; leurs efforts tendent moins à être véritablement sages, qu’à le paraître ; de là des habitudes d’hypocrisie et de bassesse. Dans les écoles d’enseignement mutuel, il est impossible à l’élève paresseux et incapable, d’obtenir un avancement de faveur : comment s’y prendrait-il pour montrer aux autres ce qu’il ne sait pas lui-même ? Il est de même impossible que le plus laborieux et le plus instruit, ne devienne pas le premier entre ses camarades. Les élèves s’y forment à l’utile vertu de se rendre justice à eux-mêmes, de la rendre aux autres, et de ne compter que sur leur mérite pour parvenir. Ce sont, par leur constitution même, des écoles de morale pratique, autant que des connaissances les plus usuelles.