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LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE IX.

5o Ceux qui sont plutôt favorables que contraires à la morale, c’est-à-dire, aux habitudes utiles à la société.

Quelque évidente que paraisse l’utilité de ces règles, j’ajouterai à chacune quelque développement.

1o Les plus modérés quant à leur quotité.

En effet, l’impôt, ravissant au contribuable un produit qui est ou un moyen de jouissance ou un moyen de reproduction, lui ravit d’autant moins de jouissances ou de profits qu’il est moins considérable.

Lorsqu’il est poussé trop loin, il produit ce déplorable effet de priver le contribuable de sa richesse sans en enrichir le gouvernement ; c’est ce qu’on pourra comprendre, si l’on considère que le revenu de chaque contribuable offre toujours la mesure et la borne de sa consommation, productive ou non. On ne peut donc lui prendre une part de son revenu sans le forcer à réduire proportionnellement ses consommations. De là, diminution de demande des objets qu’il ne consomme plus, et nommément de ceux sur lesquels est assis l’impôt ; de cette diminution de demande résulte une diminution de production, et par conséquent moins de matière imposable. Il y a donc perte pour le contribuable d’une partie de ses jouissances, perte pour le producteur d’une partie de ses profits, et perte pour le fisc d’une partie de ses recettes.

C’est pour cela qu’un impôt ne rend jamais au fisc en proportion de l’extension qu’on lui donne ; d’où est né cet adage dans l’administration des finances, que deux et deux ne font pas quatre[1]. Un impôt exagéré

  1. En France, avant 1789, la consommation du sel était évaluée par année à neuf livres de poids par personne dans les pays de gabelles, et à dix-huit livres par personne dans les pays où le commerce du sel était libre. (De Monthion, Influence des divers impôts, pag. 141.) L’impôt empêchait donc la production de la moitié de cette denrée, et réduisait de moitié les jouissances que pouvait donner ce produit, indépendamment des autres maux que causait la gabelle, comme de nuire à l’aménagement des bestiaux et aux salaisons ; d’armer une partie de la nation contre l’autre, les commis contre les contribuables ; et de peupler les galères de gens qui, par leur industrie et leur courage, pouvaient contribuer à la richesse de l’État.

    En 1804, le gouvernement anglais augmenta de 20 pour cent les droits sur le sucre. On aurait pu croire que ce droit, qui produisait au fisc, année commune, 2,778,000 liv. st., augmenté d’un cinquième, devait rapporter 5,550,000 liv. st. Il rapporta 2,857,000 liv. st., c’est-à-dire, moins qu’auparavant. (Brougham’s speech in the house of Commons, March 15, 1817).

    Ricardo a attaqué ma doctrine sur ce point. Il croit que l’impôt du sel réduisant à moitié la quantité de cette denrée qui pouvait se produire et se consommer, sa production employait moitié moins de capitaux, et que l’autre moitié des capitaux était dès-lors appliquée à une autre production. Mais l’impôt agit comme une augmentation de frais de production, d’où il résulte qu’avec le même capital, on obtient moins de produits. D’ailleurs je suis loin de regarder comme un fait ce principe fondé sur une abstraction, que la production est nécessairement proportionnée aux capitaux. En supposant que l’impôt n’eût même d’autre effet que de tirer les capitaux d’un emploi, pour obliger leurs propriétaires à les employer dans un autre moins avantageux, n’est-ce donc point un mal ? Que fait de pis le système réglementaire, contre lequel Ricardo lui-même s’élève avec tant de raison ?