Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/519

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
518
LIVRE TROISIÈME. — CHAPITRE IX.

Un impôt influe sur les habitudes d’une nation, de même qu’il influe sur ses productions et sur ses consommations ; il attache une peine pécuniaire à certaines actions, et il a le caractère qui rend les peines efficaces : c’est d’être en général une amende modérée et inévitable[1]. C’est donc indépendamment du tribut, de la ressource qu’il offre aux gouvernemens, une arme très-puissante entre leurs mains, pour pervertir ou corriger, encourager la paresse ou le travail, la dissipation ou l’économie.

Avant la révolution de France, quand les terres productivement cultivées étaient assujetties à l’impôt des vingtièmes, et que les terrains d’agrément ne payaient rien, ne donnait-on pas une prime au luxe aux dépens de l’industrie ?

Lorsqu’on fesait payer le droit de centième denier à ceux qui rachetaient une rente foncière, ne frappait-on pas d’une amende une action favorable aux familles comme à la société ? Ne punissait-on pas les sacrifices louables que s’imposent les personnes rangées pour libérer leurs héritages ?

La loi de Bonaparte, qui fait payer chaque année, par chacun des élèves des pensionnats particuliers, une somme au profit de l’université, ne frappe-t-elle pas d’une amende l’instruction de la jeunesse, de qui seule on peut attendre l’adoucissement des mœurs et le développement des facultés des nations[2] ?

  1. Cette efficacité des peines, lorsqu’elles sont modérées et inévitables, est très-bien prouvée dans Beccaria, Traité des Délits et des Peines.
  2. Cet impôt est d’autant plus inique qu’il porte ou sur des orphelins, ou sur des pères et des mères, qui sacrifient déjà une partie de leur bien-être pour élever des citoyens à l’état ; que l’impôt est d’autant plus fort, que les parens ont plus d’enfans, c’est-à-dire, plus de sacrifices à faire ; et qu’il est sans proportion avec la fortune des contribuables, puisque l’enfant pauvre paie autant que le riche. Un père de famille, d’une fortune modérée, qui n’a qu’un fils, paie à l’université, en vertu de cette loi, plus qu’il ne paie au trésor public pour toutes ses autres contributions. C’est bien pis s’il a plus d’un fils. De manière que l’usurpateur des libertés publiques a fait de l’université une machine fiscale en même temps qu’un instrument pour propager des idées fausses et des habitudes serviles. Le prétexte de subvenir aux frais de l’instruction à laquelle les élèves des pensionnats particuliers étaient contraints de prendre part, n’a point de quoi satisfaire les esprits justes ; car, en admettant que l’instruction des lycées fût la plus propre à former des membres utiles à la société, et qu’on pût, sans violer le droit naturel, forcer un père, ou l’instituteur qui le représente, à conduire son élève devant tels ou tels professeurs nommés d’office, les élèves qui avaient le moins besoin de ces professeurs n’étaient-ils pas ceux qui recevaient déjà leur instruction dans des maisons consacrées à l’enseignement, et sous des professeurs de leur choix ? Si la société juge qu’il est de son intérêt d’offrir gratuitement une certaine instruction, elle ne peut, sans une absurde oppression, la faire entrer par force, et à grands frais, dans les têtes ; et si une classe particulière de la société doit payer les frais modérés de cette instruction, ce doit être celle qui, n’ayant point d’enfans, recueille les fruits de la civilisation sans en avoir les charges.