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Page:Say - Traité d’économie politique.djvu/90

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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

des ouvriers, ceux qui en retirent le principal profit sont les consommateurs ; et c’est toujours la classe essentielle, parce qu’elle est la plus nombreuse, parce que les producteurs de tout genre viennent s’y ranger, et que le bonheur de cette classe, composée de toutes les autres, constitue le bien-être général, l’état de prospérité d’un pays[1]. Je dis que ce sont les consommateurs qui retirent le principal avantage des machines : en effet, si leurs inventeurs jouissent exclusivement pendant quelques années du fruit de leur découverte, rien n’est plus juste ; mais il est sans exemple que le secret ait pu être gardé long-temps. Tout finit par être su, principalement ce que l’intérêt personnel excite à découvrir, et ce qu’on est obligé de confier à la discrétion de plusieurs individus qui construisent la machine ou qui s’en servent. Dès-lors la concurrence abaisse la valeur du produit de toute l’économie qui est faite sur les frais de production ; c’est alors que commence le profit du consommateur. La mouture du blé ne rapporte probablement pas plus aux meûniers d’à présent qu’à ceux d’autrefois ; mais la mouture coûte bien moins aux consommateurs.

Le bon marché n’est pas le seul avantage que l’introduction des procédés expéditifs procure aux consommateurs : ils y gagnent en général plus de perfection dans les produits. Des peintres pourraient exécuter au pinceau les dessins qui ornent nos indiennes, nos papiers pour tentures ; mais les planches d’impression, mais les rouleaux qu’on emploie pour cet usage, donnent aux dessins une régularité, aux couleurs une uniformité que le plus habile artiste ne pourrait jamais atteindre.

En poursuivant cette recherche dans tous les arts industriels, on verrait que la plupart des machines ne se bornent pas à suppléer simplement le travail de l’homme, et qu’elles donnent un produit réellement nouveau en donnant une perfection nouvelle. Le balancier, le laminoir exécutent des produits que l’art et les soins du plus habile ouvrier n’accompliraient jamais sans ces puissantes machines.

Enfin les machines font plus encore : elles multiplient même les produits auxquels elles ne s’appliquent pas. On ne croirait peut-être pas, si l’on

  1. Il peut sembler paradoxal, mais il n’est pas moins vrai que la classe ouvrière est, de toutes, la plus intéressée au succès des procédés qui épargnent la main-d’œuvre, parce que c’est elle, c’est la classe indigente qui jouit le plus du bas prix des marchandises, et souffre le plus de leur cherté. Si l’on ne pouvait encore réduire qu’à force de bras le froment en farine, certainement l’ouvrier aurait plus de peine à atteindre au prix du pain ; et si l’on n’avait pas inventé le métier à tricoter, il ne porterait pas de bas.