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DE LA PRODUCTION DES RICHESSES.

CHAPITRE VIII.

Des avantages, des inconvéniens et des bornes qui se rencontrent dans la séparation des travaux.

Nous avons déjà remarqué que ce n’est pas ordinairement la même personne qui se charge des différentes opérations dont l’ensemble compose une même industrie : ces opérations exigent pour la plupart des talens divers, et des travaux assez considérables pour occuper un homme tout entier. Il est même telle de ces opérations qui se partage en plusieurs branches, dont une seule suffit pour occuper tout le temps et toute l’attention d’une personne.

C’est ainsi que l’étude de la nature se partage entre le chimiste, le botaniste, l’astronome et plusieurs autres classes de savans.

C’est ainsi que, lorsqu’il s’agit de l’application des connaissances de l’homme à ses besoins, dans l’industrie manufacturière, par exemple, nous trouvons que les étoffes, les faïences, les meubles, les quincailleries, etc., occupent autant de différentes classes de fabricans.

Enfin, dans le travail manuel de chaque industrie, il y a souvent autant de classes d’ouvriers qu’il y a de travaux différens. Pour faire le drap d’un habit, il a fallu occuper des fileuses, des tisseurs, des fouleurs, des tondeurs, des teinturiers, et plusieurs autres sortes d’ouvriers, dont chacun exécute toujours la même opération.

Le célèbre Adam Smith a le premier fait remarquer que nous devions à cette séparation des différens travaux, une augmentation prodigieuse dans la production, et une plus grande perfection dans les produits[1].

  1. Diderot avait dit, dans l’article Art de l’Encyclopédie : « Pour la célérité du travail et la perfection de l’ouvrage, elles dépendent entièrement de la multitude des ouvriers rassemblés. Lorsqu’une manufacture est nombreuse, chaque opération occupe un homme différent. Tel ouvrier ne fait et ne fera de sa vie qu’une seule et unique chose ; tel autre une autre chose : d’où il arrive que chacune s’exécute bien et promptement, et que l’ouvrage le mieux fait est encore celui que l’on a à meilleur marché. »

    Beccaria, dans un cours public d’économie politique qu’il fit à Milan, en 1769, avait, avant la publication de l’ouvrage de Smith, remarqué que la séparation des travaux était favorable à la multiplication des produits. Voici ses expressions : Ciascuno prova coll’esperienza, che applicando la mano e l’ingegno sempre allo stesso genere di opere e di prodotti, egli più, facili, più abondanti e migliori ne trova i resultati, di quello che se ciascuno isolatamente le cose tutte a se necessarie soltanto facesse. Onde altri pascono le pecore, altri ne cardano le lane, altri le tessono ; chi coltiva biade, chi ne fa il pane, chi veste, chi fabbrica agli agricoltori e lavoranti, crescendo e concatenandosi le arti, e dividendosi in tal manieraper la commune e privala utilatà gli uomini in varie classi e condizioni.

    « Chacun sait, par sa propre expérience, qu’en appliquant ses mains et son esprit toujours au même genre d’ouvrage et de produits, il obtient des résultats plus faciles, plus abondans et meilleurs que si chacun terminait seul les choses dont il a besoin. C’est pour cette raison que ce ne sont pas les mêmes personnes qui font paître les brebis, qui cardent la laine, qui la tissent : les uns cultivent le blé, les autres font le pain ; d’autres font des vêtemens, ou bien des constructions pour les agriculteurs, pour les artisans ; et c’est ainsi que s’enchaînent et se multiplient les arts, et que les hommes se séparent en diverses conditions pour l’utilité publique et particulière. »

    J’ai néanmoins fait honneur à Smith de l’idée sur la séparation des occupations, parce que c’est lui qui en a le mieux expliqué l’importance et les conséquences qu’on en pouvait tirer.