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iNIHILISME


par les mauvais traitements que le préfet de police Trepow faisait subir aux prison- niers, tenta de le tuer, à la suite d’une puni- tion infligée à un condamné politique qu’elle ne connaissait même pas (avril 1878). Toutes les sympathies allèrent à elle, la société russe s’intéressa tout entière au procès cri- minel qui lui fut intenté et son acquittement parle jury fut accueilli avec un enthousiasme qu’on ne cherchait même pas à dissimuler ’. A la même époque paraissait à l’étranger, notamment en Suisse, une presse révolu- tionnaire russe dont l’influence ne devait pas tarder à se faire sentir. Les partisans de Bakounine (V. ce nom) poussaient à l’insur- rection et prêchaient l’anarchisme sans grand succès  ; Pierre Lawrow -, rédacteur delà revue « En avant !  ;>( Vi)e>-eti), voulait au contraire préparer une révolution et, laissant de côté les doctrines anarchistes, se déclarait nettement socialiste collectiviste. Entre ces deux tendances une troisième par^’int bientôt à s’immiscer  ; son organe fut « Le Tocsin » {Sabat), publié par Pierre Tkatchew. Pour les partisans de ce troisième parti il s’agissait, avant tout, de faire une révolution purement politique  ; la révolution économique, dans les conditions actuelles, ne leur paraissait que secondaire. De Genève et de Zurich partaient en même temps une quantité innombrable de brochures et de feuilles révolutionnaires.

En 1877, les écrits socialistes publiés à l’étranger perdirent leur importance par suite de l’apparition, en Russie même, d’une presse révolutionnaire clandestine. La mort de Bakounine (1876) amena la dispari- tion des publications russes de ses adhérents, et la revue de Lawrow disparut en 1877. Le Tocsin continua seul sa publication dont l’influence resta minime. Les journaux révo- lutionnaires paraissant en Russie même, tels que (’ Le Commencement » (Natclialo, 1878, la « Terre et la Liberté » {Zemljai Volja, 1876- 1879) transformèrent rapidement le mouve- ment révolutionnaire.

Le programme des socialistes de 1873-1878 avait eu j)Our point de départ l’organisation des forces populaires en vue d’une révolu- tion sociale et politique. Les socialistes rus- ses voulurent convertir le peuple à leurs idées, désirant que la révolution se fit par lui. Ils ne pouvaient s’adresser, comme le faisaient les socialistes des autres pays, à la classe ouvrière, qui, chez les Russes, peuple


1. V. Bévue rJes Deux-Mondes, 1" mai 1878, aVera Zas- soulitch i> , par M . Valberl .

-. Sur Lawrow et le rùle qu’il a joué on peut consulter B. Malon, Socialisme intégral, t. I. — B. Gendre, Etudes philosophiques et morales.


essentiellement agriculteur, n’est que d’une importance relative. Leurs efforts pour grouper les forces ouvrières et créer un véritable parti’ouvrier, restèrent vains. La question se posa alors, pour ces réforma- teurs, de savoir s’il ne convenait pas de modifier les théories socialistes en raison de la situation économique particulière de TEmpire russe. Ils l’admirent d’autant plus facilement que les institutions nationales devaient aider à l’inliltration de leurs idées communistes chez les habitants des cam- pagnes. N’était-il pas facile de montrer aux paysans les bienfaits des travaux faits en commun, des sociétés coopératives de con- sommation, de production, des sociétés d’assurance, de crédit, en mettant sous leurs yeux les résultats de leurs artels ? L’antique institution du Mir ^ ir’était-elle pas une preuve évidente des avantages que présen- tait la propriété collective dont les derniers vestiges existent encore en Russie. Les terres cultivées sont, dans une grande partie de la Russie, la propriété du village, du mir, qui le partage périodiquement entre les chefs de famille. Nous ne pouvons re- chercher ici quelle est l’origine de la com- mune agraire  ; les controverses les plus vives ont pu se donner libre cours à ce sujet  ; qu’il nous suffise de dire que cette association collective ayant pour but de partager les terres est une association volontaire analogue aux communautés agricoles de l’ancienne France (V. Tenlre de Terres, Classes Rlrales et Colonisation Ancienne).

Au moment de la propagande « dans le peuple », tous les adeptes du Nihilisme con- sidéraient la commune agraire comme un élément conservé d’un passé où régnait le communisme et ils croyaient que la propriété communale devait être la base de l’organi- sation nouvelle du régime foncier. Plus tard, lorsque la scission dont nous nous occuperons plus loin se fut produite, cer- tains représentants du parti de la « Volonlé du peuple »,Plechanow etAxelrod notamment, repoussèrent énergiquement l’idée de la conservation de la propriété communale. Selon eux, le Socialisme ne pouvait triom- pher qu’après le règne du capitalisme, ce qui suppose la réduction de tous les ouvriers à l’état de prolétaires. La commune russe empêchant la généralisation du prolétariat devait, disaient-ils, se désorganiser et dis- paraître. Les théories de Plechanow n’eurent

I. Sur le rair on peut consulter  : Anatole Leroy-Beaulieu, L’empire des Tzars et les Russes. — Paul Leroy-Beaulieu. Le collectivisme. — E. de Laveleye, La propriiHé et ses formes primitivi :i. — Kowalewsky, Tableau de l’évolution de la propriété et de la famille. — D’ Letourneau, L’Evo- lution de la propriété.


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