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AXARCIIIE


{groupes devaient se souder silencieusement enlre eux, « comme les cellules d’un nid de guêpes ». Il est difficile de dire ce qui reste aujourd’hui de cette organisation, chaque organisme local étant libre de conduire l’agitation à son gré, et devant s’aider soi- même, prélude à la société de l’avenir. Il ne serait pourtant pas tout à l’ait exact de se représenter la serte comme un parti « sans chef, sans discipline, sans consigne, sans li- mites arrêtées >k Celte prétention des anar- chistes, qu’ils font valoir paifois devant les Iribiinaux pour écarter toute accusation de complicité ou de complot, n’est pas entière- ment justiliée. Ils changent les mots plus ([ue les choses. Quand deux hommes se réunissent, il y en a presque toujours un qui mène, ou, comme on dit aujourd’hui, qui « suggestionne l’autre ». On se passe de chefs, mais il y a des meneurs. Ce qu’on peut afllrmer, c’est que l’anarciiisme est une secte peu centralisée. Le lien commun entre les compagnons est dans leurs petits groupes iVétudes sociales, qui prennent des noms de mélodrame  : la Torche de Belleville, la Pan- thère des Balignolles, la Dynamite, . le Bonnet liouije, les Misérables, la Hache... Les groupes s’occupent de la propagande par les jour- naux, les brochures, et, à leur défaut, par les manifestes, les placards imprimés ou manuscrits. Les membres se réunissent chez le marchand de vin, en soirées familiales, où l’on chante et déclame dos poésies révo- lutionnaires contre le patriotisme, la reli- gion, les bourgeois. Les anniversaires de leurs « martyrs )> sont parfois fêtés de San Francisco jusqu’à Alexandrie. A côté de la propagande sédentaire, il y a les trimardeurs (de trimard, grande route), qui vont de ville en ville semer la bonne parole i. C’est par l’intermédiaire de la presse anarchiste, centre de vie et d’activité, que les groupes correspondent d’ordinaire entre eux. Par son organisation comme par sa doctrine, l’anar- ciiisme dilfere du socialisme, qui a ses ca- dres tout trouvés dans les unions de métiers, les syndicats ouvriers. Mais partout où elle a de nombreux partisans, par exemple en Espagne, la secte possède une organisation qui ne dili’ère de celle des socialistes que parce qu’elle est moins resserrée, en quelque sorte, moins hiérarchique.

Malgré son caractère international, l’action de l’anarchisme s’est exercée d’une façon indépendante dans chaque pays, que les gouvernements fussent despotiques ou libé- raux, monarchiques ou républicains. Il a déjà une sanglante histoire.

1. Le Péril anarchiste, parFcMiv Dubois. Paris, ISOï.


En Russie, ra ; ;itation commençait à se répandre vers IHOO. Elle prenait dés le début sa forme la plus agressive, dans celle des contrées européennes dont la civilisation est la plus récente, grâce à l’enthousiasme des jeunes gens f.’risés par les idées occidentales et inspirés par le prophélisme de Hakounine. Mais il ne faut pas confondre l’anarchisme avec le nihilisme, mot vague qui comprend (les tendances diverses. La théorie insurrec- tionnelle de Bakounine a été représentée en Russie par son émissaire compromettant. iXetschaïeff, assassin et escroc. Netschaïetf a été le premier à proclamer la propagande par le fait. Avant lui, les révolutionnaires de l’école blanquiste prêchaient les attentats, mais uniquement contre leurs adversaires. Netschaieff, pour soulever la masse énorme et inerte des paysans russes, appelle à son aide les brigands et les voleurs. Dans son catéchisme anarchiste, il honnit également la loi, la morale et les mœurs. La révolution sanctifie tout, de même que le feu purifie tout. Mais le parti de Bakounine ne tarda pas à changer d’organisation et de caractère. Le délire prolétaire, ce rêve de détruire toute une classe sociale, fit place à une cons- piration des classes cullivées, d’un prolétariat de bacheliers (comme l’appelait Bismarck) qui ne visait que quelques têtes ’. Les attentats terroristes se multiplièrent de 1819 à 1882, et aboutirent à l’assassinat de l’empereur. Importation exotique, l’anarchisme a fini par disparaître en partie, grâce aux mesures prises pour supprimer la publicité des pro- cès et restreindre l’admission dans les gym- nases et les universités. La prédication de Kropotkine, qui a succédé à celle de Bakou- nine, n’a porté ses fruits que dans l’Europe de l’Ouest.

Le premier foyer de propagande anar- chiste  : rAllianie internationale, trouvait un terrain propice en Italie et en Espagne, où elle désorganisa les sections de .Marx. Les tendances « libertaires » des Latins, mobiles comme les Slaves, et impoiiliques, s’accom- modent mieux des doctrines et de la tactique anarchiste que des théories et de l’organisa- tion de caserne inspirées par l’esprit disci- pliné des Allemands. Les partisans de la Commune, venus du midi de la France et réfugiés à Barcelone, répandirent ces idées en Catalogne. Alliés aux radicaux intransi- geants, les anarchistes espagnols soulevèrent, eu 1873, Cadix et Carthagéne et s’emparèrent d’une partie de la flotte. A Alcoy, le 9 juillet, l’alcade fut brûlé vif. Au commencement de 1883, les attentats et les assassinats de la

1. Tarde, article déjà cité. — De Vogué, Bévue des Deux Mondes du 1" mais 1894.


ANARCHIE —