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Main Noire, reniés il est vrai par certains groupes anarchistes, terrorisèrent l’Anda- lousie. En 1887, il y eut des émeutes à Va- lence. L’attentat de Pallas au théâtre du Liceo, à Barcelone, le 24 septembre 1893, qui fit une trentaine de victimes, a obligé le gou- vernement à proposer de nouvelles lois préventives et répressives. Les anarchistes espagnols ont pris le pas sur les socialistes, et comptent des partisans fort nombreux. La violence est dans le tempérament na- tional, et les idées de fédération sont tradi- tionnelles dans le pays. Mais nous voyons d’auti’e part les flegmatiques Hollandais se rallier, théoriquement du moins, a la tactique anarchiste, incliner à l’action révolution- naire, de préférence à la conquête du pou- voir par le bulletin de vote, trop lente, trop incertaine à leur gré. Au dernier congrès socialiste, tenu le 23 décembre 1893, la ma- jorité a adopté une déclaration contraire au parlementarisme. Il est vrai que le sutïrage universel n’existe pas encore dans les Pays-Bas. En Italie, aprèslamort de Bakounine (1876). le socialisme marxiste a repris de l’influence, bien que Tanarchisme y compte toujours de fervents adeptes. Outre les attentats isolés, le mouvement a abouti à la minuscule insur- rection de Bénévent. Secondé par une tren- taine de partisans déterminés, Malatesta et Catiero restèrent maitres de la ville du 5 au 11 avril 1877. Ils brûlèrent les papiers de l’état civil, distribuèrent à la foule l’argent des caisses publiques. Ils se flattaient de soulever toute la province de Naples. Dans les troubles récents de Sicile et de Carrare, nul doute que les anarchistes n’aient tiré parti des griefs populaires pour provoquer des attentats.

En France, il y eut deux centres d’anar- chisme, Lyon et Paris. La guerre entre la France et l’Allemagne avait réveillé les co- lères antigermaniques de Bakounine. Il appela sous les armes, en notre faveur, « les prolétaires de tous les pays ». Les prolétaires firent la sourde oreille. Bakounine estimait que la France ne pouvait être sauvée que par une grande révolution. Il proposait les mesures suivantes : ]" destituer tous les fonc- tionnaires, sans exception  ; 2° condamner au bagne tous les bonapartistes ; 3° organiser des bandes révolutionnaires afin d’en impo- ser aux paysans  ; î" emprisonner tous les curés, tous les propriétaires ; o° créer, pour la distribution de leurs biens, des comités de paysans convertis à la république. Par ces moyens on se concilierait les campagnes, et l’on saurait inspirer partout l’enthousiasme de la révolution : les milliers de communes dans lesquelles TÉtat français serait dissous,


ANARCHIE

et les instincts non altérés des masses popu- laires libres sauraient bien trouver l’orga- nisation sociale qui leur conviendrait, et les paysans et les ouvriers, combattant jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour leur bien et leur liberté, chasseraient les ennemis teutons. Bakounine accourait, à Lyon, pour y fonder le Comité central et assurer par là le salut de la France. Richard et Cluseret l’accueilUrent à bras ouverts. Le 28 septem- bre 1870, ce comité abolissait l’État, la jus- lice, la municipalité, et ses bandes tentaient de s’emparer de l’hôtel de ville. Quelques jours après, on priait Bakounine de repasser la frontière.

L’insurrection parisienne du 18 mars 1871, dont Bakounine, dans sa Lettre à un Français, avait d’avance esquissé le programme, a été revendiquée à la fois par les marxistes et les anarchistes comme la première ébauche de la société future, la première incarnation de leurs rêves. 11 y a eu bien des courants contraires dans cette tourmente  : aspirations décentralisatrices, jacobines, prolétaires. Dans l’impossibilité évidente où ce mouve- ment était d’aboutir, avec un corps d’armée allemand à la porte de Paris, la Commune peut être considérée, au point de vue anar- chiste, comme une gigantesque propagande par le fait, destinée à attirer l’attention du monde civilisé sur le sort des ouvriers. La Commune, d’après Kropotkine, marque une ère nouvelle, le point de départ des révolu- lions futures  : « Le gouvernement s’était évaporé comme une mare d’eau puante au souffle du vent printanier, et le 19 mars, Paris s’était aO’ranchi de la fange croupissante qui empestait l’air... » La Commune, ajoute Kropotkine, a échoué parce que, dès le début, elle s’était donné un gouvernement, elle avait sacrifié au fétichisme gouverne- mental, et ses représentants se distinguèrent aussitôt par un « amour immodéré du pa- nache et du galon »  ; mais la prochaine révo- lution sera pareillement communalisle.

En 1879, la propagande anarchiste, dirigée par Kropotkine et Elisée Reclus, succes- seurs de Bakounine, donna de nouveaux signes d’activité à Lyon et dans d’autres cen- tres industriels de la contrée. Le parti anar- chiste se forma à la suite du congrès ré- gional de LEst en 1880, où le parti ouvrier s’était divisé en deux fractions, les sutfra- gistes et les abstentionnistes. 11 comptait au début peu d’adhérents. Le Révolté, organe de ia Fédération jurassienne, publié à Genève, n’avait pour ainsi dire pas de lecteurs. Il était méprisé par les ouvriers de la région du haut Rhône, et cité seulement par les journaux conservateurs, qui s’en servaient


A.